The Project Gutenberg EBook of Conversations d'une petite fille avec sa poupee, by Mme de Renneville Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. 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[Illustration: _Conversations d'une petite Fille. Frontispiece. Il ne faut jamais mentir, Mademoiselle: c'est fort mal! Pour votre peine, vous allez avoir le fouet!_] * * * * * CONVERSATIONS D'UNE PETITE FILLE AVEC SA POUPEE, SUIVIES DE L'HISTOIRE DE LA POUPEE; PAR Mme. DE RENNEVILLE, AUTEUR du Petit Charbonnier de la Foret Noire. OUVRAGE ORNE DE ONZE GRAVURES. * * * * * INTRODUCTION. Monsieur et madame Belmont avoient une petite fille de cinq ans, appelee _Mimi_; elle etoit blanche comme du lait, et douce comme un petit agneau. Mimi ne desobeissoit jamais a sa maman. Pour ne point faire de bruit, elle prenoit sa poupee, s'asseyoit dans un coin de la chambre, et causoit avec elle. Mimi faisoit la maman. _Zozo_, c'est ainsi qu'elle nommoit sa poupee, etait sa fille. La petite maman repondoit pour Zozo, comme on peut le croire. Si la poupee repondoit bien, elle etoit recompensee; si elle repondoit mal, elle etoit punie. Dans ces conversations, Mimi repetoit exactement tout ce que lui disoit sa mere, qui s'en amusoit, et prenoit quelquefois part a ce leger badinage, sans que Mimi en fut plus deconcertee. Mimi prenoit aussi un grand plaisir a faire la petite maitresse: Zozo etoit examinee le matin, apres diner, quand madame Belmont rentroit, en revenant de la promenade, et le soir avant de se coucher. PREMIERE CONVERSATION. Mimi est habillee; elle a dejeune, et se prepare a faire la toilette de sa fille, Mimi questionne ainsi sa poupee: Zozo, avez-vous pleure quand on vous a debarbouillee?--Non, maman.--Avez-vous lave vos mains?--Oui, maman.--Avez-vous fait votre priere?--Oui, maman.--C'est le bon Dieu, ma fille, qui vous a donne votre papa et votre maman; c'est lui qui tous les jours vous donne de quoi vous nourrir et vous habiller; il faut bien l'aimer! Avez-vous souhaite le bonjour a papa et a maman?--Oui, maman.--Bien, ma fille; je suis contente de vous. Jeannette, apportez la belle robe de crepe rose de Zozo, celle qui est garnie de fleurs; mais comme elle est dechiree!... C'est vous, Zozo, qui avez fait cela?--Maman, je ne le ferai plus!--Mademoiselle, pour votre penitence, vous mangerez votre pain sec.... Il est bien temps de pleurer!--Ma petite maman, je ne dechirerai plus ma robe; jamais, jamais!... c'est un arbre du Luxembourg qui m'a accrochee.--Comment, Zozo, je ne voyais pas, vraiment! cette robe est toute tachee!... Fi! que c'est laid d'etre malpropre!... Mademoiselle, vous mettrez aujourd'hui votre robe sale. Allez, je ne veux plus vous voir! (elle la conduit dans un coin.) Tournez-vous du cote du mur, et restez la. Oh! la laide! oui, pleurez a present.--Ce sont les confitures qui ont tache ma robe.--Vous raisonnez, je crois! Si ce sont les confitures, vous n'en aurez plus. Vous pleurez, encore plus fort! ah! mademoiselle, vous etes gourmande! je suis bien aise de le savoir! du pain sec, c'est ce qu'il faut aux gourmands. Allons, venez lire. Si vous dites bien votre lecon, je vous pardonnerai. Voyons, dites vos lettres. ZOZO. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, x, y, z, etc. MIMI. Bien. Epelez a present. ZOZO. ba, be, bi, bo, bu. MIMI. On ne dit pas _be_, mais _be_. ZOZO. ca, ce, ci, co, cu. MIMI. C'est tres-mal, ca. On dit ka, ce, ci, ko, ku; entendez-vous, mademoiselle, et souvenez-vous-en. ZOZO. da, de, di, do, du. MIMI. Toujours la meme faute! On ne dit pas _de_, mais _de_. Faites-y donc attention! ZOZO. fa, fe, fi, fo, fu. MIMI. Vous etes incorrigible, Zozo. Dites _fe_ et non pas _fe_. Mais en voila assez. Comptez jusqu'a vingt. ZOZO. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt. MIMI. Combien y a-t-il de voyelles? ZOZO. Cinq: a, e, i, o, u. MIMI. Et de consonnes? ZOZO. Dix-neuf: b, c, d, f, g, h, j, k, l, m, n, p, q, r, s, t, v, x, z. MIMI. Bien, ma fille, je suis contente de toi; viens embrasser ta maman! Si tu savois, Zozo, comme tu es gentille quand tu es sage, tu ne te ferois jamais gronder! et puis tu mangerois toujours de bonnes choses; je te donnerois de beaux chiffons pour recompenses, tu serois caressee de tout le monde! Est-ce que tu n'aimes pas les bonbons et les joujoux?-- Pardonnez-moi, maman.--Eh bien! Zozo, il faut etre bien sage, et tu en auras. Mimi et Zozo etaient fort bien ensemble, lorsque madame Belmont appela sa fille pour l'envoyer promener avec sa _bonne_. Mimi courut a sa maman, et par sa precipitation, renversa sa poupee, qui entraina avec elle la boite aux joujoux. Jeannette n'etant pas encore prete, Mimi revint aupres de Zozo, qu'elle trouva etendue par terre, le nez sur le parquet, et les chiffons eparpilles autour d'elle. Elle releva sa poupee, et lui demanda, en colere, qui avoit renverse ses chiffons?--Ce n'est pas moi, maman.--Vous mentez, Zozo! personne n'est entre ici. Vous aurez voulu voir les fleurs d'or qui sont dans ma boite. Il ne faut jamais mentir, mademoiselle; c'est fort mal! vous allez avoir le fouet! Jeannette, apportez-moi les verges.--Je ne le ferai plus, maman (elle pleure). Mimi, apres l'avoir fouettee: Ah! ah! je vous apprendrai a mentir! fi! rien n'est si vilain que cela! Mimi en etoit la de sa reprimande, quand madame Belmont l'appela de nouveau. Apres avoir range ses chiffons, la petite s'en alla avec Jeannette. Elle voulut bien pardonner a Zozo, et l'emmena avec elle. Quand elles furent au Luxembourg, Mimi raconta a sa bonne les grands sujets de mecontentement que Zozo lui avoit donnes. Jeannette, qui avoit horreur du mensonge, lui raconta l'histoire suivante: _Le petit Menteur._ Il y avoit une fois un laboureur, nomme Jacques, qui etoit reste veuf avec trois enfans, Charles, age de six ans, Firmin, age de cinq ans, et Jean, age de quatre ans. Ces trois petits garcons n'etoient point mechans; mais Charles etoit gourmand, Firmin menteur, et Jean desobeissant; ce qui donnoit beaucoup de chagrin a leur pere. Jacques avoit dans son jardin un arbre qui donnoit des poires tres-grosses et tres-belles: "Je ne suis pas assez riche, dit cet homme, pour mettre d'aussi beau fruit sur ma table; il faut que je les vende. Avec cet argent, j'acheterai une veste a Charles, des bas a Firmin, et a Jean des souliers pour les dimanches; car j'espere bien avoir 12 fr. de mes poires!" Jacques, voulant aller travailler, recommanda a ses enfans de se bien conduire, pendant que Marguerite, leur grand'mere, feroit le menage; et surtout, de ne point toucher aux poires du bel arbre; "car, vois-tu, mon fils, dit-il a Charles, si tu en mangeois, tu n'aurois pas une belle veste neuve, ni tes freres des bas et des souliers!" Charles promit de ne point toucher aux belles poires, et son pere le quitta. Ces trois petits garcons se trouvant seuls dans le jardin, parce que la mere Marguerite etoit restee dans la maison a faire le menage, Charles le gourmand dit a ses freres: "Voyons donc ces belles poires que notre pere veut vendre pour m'acheter une veste, et a vous des bas et des souliers"; et tous les trois allerent aupres de l'arbre. Charles, en voyant les poires, en eut envie: "J'en mangerois bien une, dit-il; elles doivent etre bien sucrees! et toi, Firmin?--Oh! non, papa l'a defendu!--Bah! une seulement; il n'y paroitra pas du tout! et toi, Jean?--Papa l'a defendu!--Que tu es bete! mange toujours; il n'en saura rien!" Et voila Charles qui grimpe sur l'arbre, et cueille trois poires, une pour Firmin, une pour Jean, et une pour lui. Jacques, qui se doutoit que Charles le gourmand feroit desobeir ses freres, n'avoit pas ete aux champs; il s'etoit cache dans un coin du cote du bel arbre; il entendit la conversation de ses enfans, et leur vit manger ses poires. Voulant les eprouver, il les laissa s'eloigner, et fut cette fois tout de bon a la charrue. A l'heure du diner, le laboureur revint a sa maison: "Je veux, dit-il a ses enfans, cueillir les poires du bel arbre, pour les aller vendre demain au marche." Les trois enfans se regarderent. "Charles, continua le pere, va me chercher le panier qui est dans la salle basse." Charles ayant apporte le panier, le laboureur monta a l'echelle, et cueillit ses belles poires. Quand il eut fini, il les compta, et dit a ses enfans: "Quelqu'un a mange de mes poires; il en manque trois. Qu'est-ce qui est venu dans le jardin?--Personne que la mere Marguerite, repondit Firmin.--Ce n'est pas la mere Marguerite, dit le laboureur; elle n'avoit point d'echelle, et l'arbre est trop haut pour qu'elle puisse cueillir les fruits. Je crois, moi, que c'est vous tous." Aussitot les enfans se mirent a pleurer. "Charles, dit Jacques a son fils aine, parle vrai; en as-tu mange?--Oui, mon papa, repondit Charles, en fondant en larmes!--Puisque tu as ete gourmand, reprit Jacques, tu n'auras point de veste; mais comme tu as dit la verite, tu ne seras point puni. Et toi, Firmin, as-tu aussi mange une poire?--Non, mon papa.--Comment! Charles a mange tout seul trois grosses poires sans vous en donner?--Oui, mon papa.--Qu'en dis-tu, Charles?" Charles baissa les yeux et ne repondit pas. "Et toi, Jean?--Papa, j'en ai mange une aussi"; et, ce petit pleura bien fort! "Je te l'avois cependant defendu!--Je ne serai plus jamais desobeissant, mon papa.--A la bonne heure!... Il n'y a donc que Firmin qui ait craint de me deplaire.... Cependant, il faut que je sache quel est celui de vous qui a mange deux poires: combien as-tu mange de poires, Charles?--Je n'en ai mange qu'une, mon papa.--Et toi, Jean?--Qu'une aussi, papa.--Il m'en manque trois! qui donc a mange la troisieme? ah! c'est peut-etre la mere Marguerite!... Ne dites rien, je vais bien l'attraper! Faisons l'epreuve du coq." Aussitot Charles fut chercher son coq favori. Jacques le prit, s'eloigna un moment, et revint tenant le coq dans ses bras. Il fit ranger sa petite famille sur une ligne, la mere Marguerite a la tete, et il appela chacun a son tour pour passer la main sur le dos du coq. "Je verrai, dit-il, quel est le coupable; car il ne l'aura pas plus tot touche que le coq chantera." La mere Marguerite, Charles et Jean qui ne craignoient rien, passerent la main sur le dos du coq; pour Firmin, il eut tant de peur de l'entendre chanter, qu'il n'y toucha pas. "Voyons vos mains, demanda Jacques?" Tous presenterent leurs mains." C'est Firmin, dit-il, qui a mange la poire; il s'est vendu lui-meme: vous voyez que sa main est blanche, et que celles des autres sont noires; parce que j'avois noirci le dos du coq: Firmin se sentant coupable n'a pas ose y toucher! c'est ainsi qu'on prend les menteurs!..." Firmin, confondu, se mit a pleurer. "Je n'ai pas pitie de tes larmes, lui dit son pere; ce n'est pas assez d'etre gourmand et desobeissant, tu es encore menteur! fi! cela est affreux!" Et aussitot Jacques dit a la mere Marguerite de donner le fouet a Firmin. [Illustration: _Le petit menteur._] [Illustration: _la Biche blanche._] Ce meme jour, comme le laboureur se reposoit apres son travail, entoure de ses trois enfans, il fut aborde par un monsieur bien mis, qui le pria de lui donner un peu de cidre pour le rafraichir. Jacques alla lui en chercher, et le lui donna de bonne grace. "Je vous remercie, lui dit l'etranger: j'avois chaud; vous m'avez rendu service, et je voudrois faire quelque chose pour vous. A qui sont ces beaux enfans?--C'est a moi, monsieur.--Je les trouve charmans, dit le seigneur; car c'en etoit un. Helas! ils me rappellent mon fils! il etoit de l'age de votre aine, lorsque le bon Dieu le retira du monde. C'etoit un enfant si doux! jamais il n'avoit desobei! il n'etoit ni gourmand, ni menteur; il ne pleuroit que lorsqu'il me voyoit malade! J'ai conserve tous ses joujoux, et j'ai fait le serment de ne les donner qu'a un enfant, qui comme lui ne seroit ni gourmand, ni menteur, ni desobeissant. Je voudrois bien qu'un des votres meritat ces jolies choses; j'aime deja ces petits a cause de vous. Sans doute vous en etes bien content? "Le laboureur secoua la tete, et le monsieur soupira! "Vous me faites de la peine, dit-il a Jacques; car je vois que vos enfans ne sont pas sages. Faisons un accommodement; si, pendant trois mois, vos enfans ne sont ni gourmands, ni menteurs, ni desobeissans, ils auront les joujoux de mon fils, et je leur donnerai a chacun un habit neuf. Cet arrangement vous plait-il?" Le laboureur repondit comme il le devoit a tant de bontes; et le seigneur ajouta: "Pour donner a vos enfans le desir de se bien conduire, amenez-les a mon chateau, je leur ferai voir les belles choses que je leur destine." Le lendemain, Jacques ne manqua pas de mener ses enfans au chateau du seigneur. Ils furent eblouis de la beaute et de la richesse des appartemens: l'or et l'argent y brilloient de toutes parts! On les fit passer dans une piece plus belle que les autres. On y voyoit une table couverte d'un grand voile de gaze d'or. Le seigneur leva le voile, et les enfans virent avec surprise de beaux carrosses, des chevaux, des cabriolets, des polichinels, des pouparts, des menages d'argent, et mille autres belles choses qu'ils n'avoient jamais vues de leur vie. Puis des bonbons, des confitures seches, du sucre d'orge, et toute sorte de friandises; car le petit monsieur n'avoit garde de manger tout ce qu'on lui donnoit, tant on l'accabloit de bonbons, de pastilles, de diablotins, etc. etc. Il falloit voir les yeux que faisoient Charles, Firmin, et surtout le petit Jean! Oh! si on lui eut donne seulement un baton de sucre d'orge! mais il n'y avoit pas moyen!" Tout cela vous appartiendra dans trois mois, leur dit le maitre du chateau, si vous n'etes ni gourmands, ni menteurs, ni desobeissans." Il les fit bien regaler et les renvoya. De retour au hameau, les trois enfans croyoient voir encore devant leurs yeux toutes les richesses du jeune seigneur; ils ne pouvoient penser a autre chose. Cependant leur pere ne leur recommanda point d'etre sages; il avoit promis de ne rien leur dire pendant l'espace de temps convenu. Il y avoit deja deux mois et demi de passes, et les fils de Jacques s'etoient bien conduits, quand le seigneur l'engagea a venir le voir avec ses enfans. Ceux-ci, tout joyeux, ne manquerent pas de visiter les beaux joujoux du petit monsieur. Firmin ayant apercu, pres de lui, une boite pleine de bonbons, se laissa tenter, et la mit dans sa poche sans que personne le vit. Les trois mois expires, le laboureur fit mettre a ses enfans leurs plus beaux habits, et se rendit au chateau. Le seigneur les attendoit. "Venez, mes petits amis," leur dit-il, recevoir le prix de votre sagesse; mais auparavant, il faut que je sache ce qu'est devenue une boite qui manque ici; et il leur montra une note exacte de tout ce qui etoit sur la table. Firmin rougit prodigieusement, et son pere le regarda d'un oeil courrouce.--Ne cherchez point, monseigneur, dit-il au maitre du chateau, voici le voleur! en montrant Firmin. Celui-ci nia effrontement!... Son pere fouilla dans sa poche, et y trouva la boite; mais elle etoit vide!--Ah! c'est trop fort, dit le seigneur, menteur et voleur!... Je vous plains, bon Jacques, d'avoir un fils qui annonce de si mauvaises inclinations! ne l'amenez jamais ici; je hais les gourmands; mais je crains les menteurs et les voleurs! ensuite s'adressant a Charles et a Jean: Quant a vous, mes petits enfans, qui avez fait des efforts pour vous corriger, je vous donne tout ce qui est sur cette table; vous serez habilles de neuf, et, desormais, je prendrai soin de votre fortune. Vous, Jacques, je vous fais mon fermier: soyez toujours honnete homme. Jacques, Charles et Jean s'en retournerent tout joyeux a leur maison. Firmin, chasse du chateau comme un mauvais sujet, n'osa plus sortir de chez son pere; car aussitot qu'il paroissoit dans le village, les autres enfans le montrant au doigt, disoient: Voici Firmin, le voleur du chateau! et tous couroient sur lui en criant: Au voleur! au voleur!... Il resta long-temps enferme, menant une vie bien triste! mais aussi il l'avoit merite! pourquoi etoit-il menteur et voleur? L'histoire de Jeannette avoit dure autant que la promenade. A son retour, Mimi causa avec sa poupee; elle parla des enfans du laboureur: As-tu entendu, Zozo, ce qu'a dit ma bonne? ce monsieur Firmin le voleur!... oh! que c'est vilain de voler, et puis encore de mentir!... si cela t'arrive jamais, tu ne seras plus ma petite fille! Mais a propos, pourquoi donc restois-tu toujours derriere ma bonne? cela n'est pas bien! il falloit te prendre par la main pour te faire avancer; et puis tu as eu de l'humeur, apres l'histoire, parce que tu ne voulois pas encore revenir a la maison, et Jeannette s'est fachee! Si tu recommences encore, tu seras en penitence, je t'en avertis. La paix etant faite entre Mimi et Zozo, on vint chercher Mimi pour l'habiller, parce que madame Belmont allait diner en ville, et l'emmenoit avec elle. SECONDE CONVERSATION. La dame chez laquelle madame Belmont dinoit ce jour-la, aimoit Mimi a la folie; elle voulut l'avoir aupres d'elle a table, et lui donna mille friandises. Mimi avoit beaucoup mange quand on servit un plat de gateaux qui lui plaisaient fort. Sa mere, qui ne la perdoit pas de vue, lui defendit par signes d'en manger. Mimi fit semblant de ne point s'en apercevoir, et mangea des gateaux au point d'en etre incommodee. Madame Belmont se hata de rentrer chez elle, deshabilla sa fille, et lui fit prendre du the. On se doute bien qu'elle la gronda. Mimi, se trouvant mieux, courut prendre sa poupee. Pendant que sa mere lisoit, elle eut avec Zozo la conversation suivante: Venez ici, mademoiselle, que je vous delasse. Jeannette, faites du the pour cette petite gourmande, qui etouffe pour avoir mange des gateaux, malgre la defense de sa maman. Fi! que cela est vilain! une grande fille de votre age! vous devriez etre honteuse!... vous aviez pourtant mange des macarons, du biscuit, du raisin, des amandes, des poires! Fi! que c'est laid d'etre gourmande, et desobeissante a sa maman! Je suis sure que vous avez mange votre viande sans pain!--Non, maman!--Mais vous avez demande du poulet, et cela n'est pas bien! une petite fille ne demande jamais rien; elle attend que sa maman lui donne. Et puis, il faut que je vous gronde; vous avez bu sans avoir vide votre bouche; vous avez repondu a madame B..., ayant aussi la bouche pleine, et c'est mal; on ne l'emplit pas tant, et on la vide tout a fait pour boire et pour repondre quand quelqu'un vous adresse la parole. En sortant de table, vous avez fait du bruit; vous avez parle aussi haut que les grandes personnes; vous avez dispute avec les filles de madame B..., ce qui n'est pas poli du tout; vous leur avez arrache les joujoux des mains. Et mais, vos mains, les avez-vous lavees? je suis sure que non! Voyez comme votre robe est sale! et vous voulez que je vous mene diner en ville! ah! mademoiselle, il faut etre plus raisonnable, et surtout retenir ce que dit votre maman. Vous etes une etourdie, je le sais; vingt fois je vous ai dit combien il est deplace de faire telle ou telle chose, et vous n'en faites qu'a votre tete. Je vais a ce sujet vous raconter comment il en a coute la vie aux petits d'une biche, pour avoir neglige de suivre les avis de leur mere. Ecoutez bien: _La Biche blanche_. Il y avoit une fois une biche, qui avoit trois petits enfans; elle voulut leur aller chercher a manger, mais avant de sortir elle leur dit: Mes enfans, n'ouvrez point qu'on ne vous montre patte blanche, et faites-y bien attention, afin de ne point vous laisser tromper, entendez-vous? Ses enfans le lui promirent, et la biche alla leur chercher a manger. Cependant, compere le loup etoit derriere la porte. Aussitot que la biche fut partie, il vint frapper en contrefaisant sa voix: Pan, pan! ouvrez, je suis votre mere!--Montrez-nous patte blanche, lui dirent les petits. Compere le loup fut bien attrape, car sa patte etoit grise!... mais le malin, l'ayant entortillee d'un linge, revint a la porte: Pan, pan! ouvrez, je suis la biche votre maman!--Montrez patte blanche. Aussitot le compere glissa, sous la porte, sa patte enveloppee de chiffons, et les petits ouvrirent etourdiment, sans s'assurer si c'etoit bien la patte de biche blanche. Qu'arriva-t-il? compere le loup les croqua tous! Voila ce que c'est! Si ces petits eussent regarde de tres-pres, ils auroient vu que compere le loup avoit enveloppe sa patte; ils n'auroient point ete manges, et la biche les auroit retrouves a son retour. Si vous faisiez aussi attention a ce que je vous dis sans cesse, ma fille, vous ne seriez pas grondee souvent comme vous l'etes. Allons, je vous pardonne pour cette fois; venez m'embrasser. Tiens, Zozo, vois-tu ce beau livre, ce sont _les Soirees de l'Enfance_; regarde les jolies gravures. En voici une bien belle, c'est le petit Fabien qui donne tout son argent pour avoir des livres afin de s'instruire. Voila une jeune personne qui, voyant sa soeur en danger de perir dans un canal ou elle etoit tombee, se jette apres elle pour la sauver. Ici, c'est un jeune homme qui vient donner des secours a une pauvre veuve qui, apres avoir essuye bien des malheurs alloit etre depouillee du peu qui lui restoit. Madame Belmont venoit d'achever sa lecture, elle interrompit sa fille: Viens ici, Mimi, apporte ta poupee, et assieds-toi. Tu as conte tout a l'heure une histoire a Zozo, veux-tu que je t'en conte une a mon tour?--Oh! oui, ma petite maman, je vous en prie!--Ecoute donc: _Histoire de la petite Fille desobeissante_. Il y avoit une fois une petite fille qui s'appeloit Lili; elle etoit bien gentille, mais elle desobeissoit toujours a sa maman! ce vilain defaut lui attiroit bien des chagrins! Si sa maman cousoit, Lili prenoit ses ciseaux, malgre sa defense, et se coupoit les doigts; ou bien, elle ouvroit son etui, et renversoit ses aiguilles. Tantot c'etoit la pelotte, dont elle tiroit les epingles en s'amusant, tantot le fil qui lui servoit a jouer. Une autre fois Lili renversoit le tabac de sa maman, en touchant a sa boite, ou dechiroit un livre qu'il falloit payer; ses robes etoient tachees d'encre, parce qu'elle vouloit ecrire, quoique sa maman le lui eut defendu. Plusieurs fois Lili s'etoit brulee en jouant avec le feu, et cela ne l'en avoit pas corrigee. Cette petite avoit renverse sur elle de la sauce, du bouillon, du lait, en grimpant pour regarder dans un plat ou dans une soupiere; elle s'etoit jetee par terre cinq a six fois, d'ou on l'avoit relevee avec une grosse bosse au front, et, cependant, Lili recommencoit toujours a toucher a tout. On la distinguoit de ses freres et soeurs, en lui donnant le vilain nom de _desobeissante_. Qui a fait cela, demandoit-on?--C'est la desobeissante; qui a dit cela? c'est la desobeissante. A cinq ans, Lili etoit encore la meme. La seule difference qu'il y eut, c'est qu'elle commencoit a sentir que ce nom-la n'etoit pas beau du tout! Quand on l'appeloit ainsi, Lili montroit de l'humeur; elle boudoit ses petites amies. Sa maman les laissoit faire, parce que Lili n'avoit pas change de caractere. Un jour la maman de Lili dit a sa _bonne_, nommee Victoire, de mener promener sa fille. Le temps etoit superbe, et les jours fort longs. Victoire alla dans les champs avec la petite Lili. Quand elles furent aupres d'une belle piece de ble, Lili demanda a sa _bonne_ la permission de cueillir des bluets: Je le veux bien, repondit Victoire; mais vous etes si desobeissante! vous entrerez dans le ble, vous vous perdrez, et puis, que dirai-je a votre maman?--Oh! non, ma _bonne_, je t'assure! j'irai tout au bord, je te verrai toujours, et tu me verras aussi, je te le promets! Songez, mademoiselle Lili, que les bles sont remplis de petites betes qui vous feront du mal! et puis, si le garde vous voit, vous serez mise en prison! dame! c'est votre affaire!--Oh! tu verras, ma _bonne_, je n'irai pas plus loin que cela; et Lili montroit un espace de huit a dix pas. Ayant obtenu ce qu'elle desiroit tant, la petite Lili se mit a courir pour choisir de beaux bluets, et sa _bonne_ s'assit sur l'herbe avec son tricot. Lili vit d'abord une grande quantite de fleurs qui toutes lui plaisoient; elle en cueillit, puis les jeta pour d'autres plus belles, et toujours en choisissant, Lili s'eloigna, et perdit sa bonne de vue. Victoire, occupee a son tricot, ne s'apercut pas d'abord que l'enfant n'etoit plus aupres d'elle, et quand elle voulut l'appeler, Lili ne pouvoit plus l'entendre. La petite fille se perdit si bien dans ces bles plus hauts qu'elle, qu'il lui fut impossible de retrouver son chemin. Elle appela Victoire de toutes ses forces; mais Victoire ne l'entendit point! alors Lili se mit a pleurer! il etoit bien temps! Si elle eut ete obeissante, elle ne se seroit pas exposee a avoir du chagrin; mais suivons-la, nous allons lui voir bien d'autres sujets d'alarmes. Cependant Victoire tourna tout autour de la piece de ble pour trouver Lili; elle l'appela de toutes ses forces, mais cette piece etoit si grande, que sa voix se perdoit dans les airs. N'ayant trouve personne qui put lui donner des nouvelles de Lili, la pauvre bonne, bien affligee, retourna a la maison pour dire a sa maitresse que sa petite fille etoit perdue! Quand la maman sut comment la chose s'etoit passee, elle dit a la _bonne_: Je ne m'etonne pas que Lili se soit perdue comme vous le dites, elle est si desobeissante!... on va la mettre en prison, j'en suis sure; mais elle n'aura que ce qu'elle merite!... Pendant que Victoire rendoit compte a la maman, Lili se tourmentoit pour sortir de la piece de ble. Elle alloit a droite, elle alloit a gauche, et ne voyoit point comment elle pourroit en sortir; elle avoit jete les belles fleurs dont sa robe etoit remplie, et pleuroit a chaudes larmes!... En marchant au hasard, Lili rencontra un nid d'oiseaux, et le heurta avec son pied, ce qui lui fit d'autant plus de peur que, dans le moment meme, le pere et la mere s'envolerent, et lui toucherent le nez avec leurs ailes; Lili fit un cri si percant, qu'elle fit lever une douzaine d'alouettes qui couvoient leurs oeufs tout aupres. Un peu plus loin, la petite mit le pied sur un gros crapeau, ce qui l'effraya si fort, qu'elle fut sur le point de se trouver mal. Independamment de ces frayeurs passageres, Lili etoit tourmentee d'une maniere cruelle: les cousins lui piquoient les bras, la figure et la poitrine; car, pour etre plus leste, Lili avoit ote son chapeau, son schall et ses gants; les araignees grimpoient a ses jambes, et lui faisoient des ampoules grosses comme le petit doigt. La pauvre petite etoit martyrisee, et pour comble de malheur, la nuit approchoit! Mais, que devint-elle en apercevant une grosse couleuvre qui leva sa tete en sifflant, parce que Lili venoit de marcher sur le bout de sa queue! A cette vue, la malheureuse enfant se croyant morte, perdit tout a fait connoissance, et tomba par terre. La couleuvre ne lui fit cependant aucun mal; d'ailleurs, ce reptile est sans venin. Cet accident arriva a Lili au bord de la piece de ble, dont la petite se croyoit encore bien loin! Le garde, qui par hasard se trouvoit la, ayant entendu du bruit, et ne sachant ce que ce pouvoit etre, imagina qu'un animal sorti du bois voisin s'etoit cache dans cet endroit; il dirigea son fusil de ce cote, et deja couchoit en joue la malheureuse enfant, quand heureusement il apercut les pieds et les jupons de la petite Lili. Il jeta son fusil a terre, et s'approcha d'elle. L'ayant fait revenir, le garde lui demanda son nom? "Je m'appelle _Lili_, monsieur, repondit la petite tout effrayee!--Et votre papa, comment le nomme-t-on?--M. de Rosambur. Or, ce M. de Rosambur habitoit la ville, et il etoit connu de tout le monde." Le garde fit encore plusieurs questions a Lili, auxquelles elle repondit de son mieux. Pendant que Lili et le garde causoient ensemble, ils furent apercus par Victoire, qui revenoit chercher la petite. La _bonne_ avoit sa lecon faite; elle fit un signe au garde, et se cacha de Lili. Celui-ci dit a Lili de l'attendre un moment; il alla trouver Victoire, qui lui dicta la conduite qu'il avoit a suivre avec la desobeissante Lili. [Illustration: _La petite fille desobeissante._] [Illustration: _La petite fille grossiere._] Le garde etant de retour aupres de la petite fille, lui dit: "Mademoiselle, vous allez aller coucher en prison! Vous y resterez deux jours, parce que vous avez ete trouvee dans le ble, et votre papa paiera le degat que vous y avez fait. Si vous etes prise une seconde fois, vous aurez huit jours de prison au pain et a l'eau, c'est la regle." Lili voulut demander grace; deja elle joignoit ses deux petites mains, et mettoit un genou en terre: "Evitez-vous cette peine, mademoiselle, lui dit le garde, toutes vos prieres seroient inutiles: je suis les ordres de mes superieurs. Nous autres, nous ne sommes pas desobeissans!... Venez, venez, lui dit-il, avec une voix de tonnerre qui fit trembler la pauvre Lili de tous ses membres; vous n'en mourrez pas!..." Lili voulut resister; mais le garde la prit sous son bras, et l'emporta comme une mouche! La nuit etoit alors tout a fait noire. Le garde marcha long-temps; ensuite il s'arreta au detour d'une rue fort etroite, et posa la petite a terre: "J'ai pitie de vous, lui dit-il, car vous etes bien jeune! Je vais vous bander les yeux, pour que vous ne voyiez point les voleurs qui sont dans les salles ou nous allons passer. Ces gens-la ont des figures si affreuses, qu'ils vous feroient mourir de peur!..." Le garde paroissant un peu radouci, Lili se laissa bander les yeux, en poussant de gros soupirs! Cet homme la prit encore dans ses bras, et marcha plus d'une demi-heure; enfin, il arriva a une grille, qui s'ouvrit avec un grand fracas. Le portier, muni d'un trousseau de clefs qui faisoient beaucoup de bruit, les conduisit a une porte qu'il referma derriere eux en tirant d'enormes verroux; il fit de meme a une seconde, puis a une troisieme porte. Arrive a la quatrieme, le garde se baissa bien bas pour y entrer: "Grace a Dieu, dit-il, nous y voila. Pauvre petite, que je vous plains!... Vous avez ete desobeissante, mais aussi vous etes punie bien severement!..." Alors, il lui ota son bandeau. Lili pleuroit si fort, qu'elle put a peine voir les objets qui l'environnoient. "Cette chambre n'est pas belle, lui dit le garde; mais vous y trouverez au moins les choses necessaires, parce que c'est la premiere fois que vous etes prise dans les bles; la seconde fois, si cela vous arrive, vous serez moins bien, je vous en avertis. Ma femme va venir, ajouta-t-il; elle vous donnera a souper, et vous couchera. Vous ne ferez pas bonne chere; car nous ne sommes pas riches!" Apres avoir acheve ces mots, le garde sortit, et sa femme entra presque aussitot; mais, quelle femme! c'etoit un colosse, et, laide, laide a faire trembler! Elle avoit de la barbe comme un homme, et des yeux rouges qui faisoient peur!... Lili n'osoit pas la regarder!... Cette femme lui donna un peu de pain et de fromage, puis ensuite un verre d'eau rougie. Apres que Lili eut soupe, la femme du garde la coucha sans proferer une seule parole. Lili pleura beaucoup sans doute, mais enfin elle s'endormit. Le lendemain, la vilaine femme vint la lever; elle lui fit prendre un peu de lait chaud, mais en marmotant quelque chose entre ses dents, comme si elle lui eut donne a contre-coeur! Lili resta seule jusqu'au diner, s'ennuyant a mourir; alors elle regretta le petit livre qui lui servoit a apprendre a lire; car, disoit-elle, ce livre est ennuyeux, mais il vaut encore mieux que rien! Lili s'assit donc bien tristement sur son lit jusqu'a trois heures, que la femme du garde lui apporta de la soupe et du bouilli. Cette fois-ci, elle lui adressa la parole: "Vous amusez-vous bien, mademoiselle?--Non, madame.--Si vous saviez lire, travailler, je vous donnerois des livres, de l'ouvrage; mais, vous ne savez rien!--Je commence a lire couramment, et maman me fait faire des ourlets et des surjets.--Nous allons voir ca." La-dessus, cette femme sortit. Bientot apres elle rentra, tenant un petit livre, et deux mouchoirs a ourler, du fil, un de, une aiguille. "Tenez, mademoiselle, voila tout ce que je puis faire pour vous;" puis elle laissa encore Lili jusqu'a huit heures du soir. Quand elle revint, les deux mouchoirs etoient faits, et cousus tres-proprement. "Ah! ah! dit la femme en les regardant, il n'est tel que de tenir les petites filles un peu ferme! C'est bien! je suis contente!... et, pour vous le prouver, vous ne coucherez pas ici ce soir...." A l'instant, on entendit ouvrir une porte que Lili n'avoit pas apercue; et, a sa grande surprise, elle vit entrer son papa et sa maman!... Qui pourroit depeindre ses transports a cette vue tant desiree!... Lili, fondant en larmes, courut se precipiter dans leurs bras!--Serez-vous encore desobeissante, ma fille, lui dit sa maman?--Oh! jamais, jamais, maman! mais vous aviez donc abandonne votre Lili!...--Non, ma fille; je vous aimois encore malgre vos defauts, parce que j'esperois vous voir un jour plus raisonnable. Pour vous prouver jusqu'ou va ma tendresse pour vous, je vous dirai que nous avons donne de l'argent, pour vous empecher d'aller en prison, et que vous avez ete amenee chez nous. Lili regarda sa mere avec la plus grande surprise.--Vous avez peine a me croire, ma bonne amie, ajouta madame de Rosambur; venez avec moi. Aussitot cette dame ouvrit la porte par ou elle etoit entree, et Lili reconnut parfaitement sa maison. On lui avoit mis un bandeau pour l'y amener, afin qu'elle ne s'apercut pas qu'elle rentroit chez sa mere. Les grosses portes par ou elle avoit passe n'etoient qu'un jeu, pour lui faire croire qu'elle etoit en prison. La chambre ou on l'avoit mise, etant une piece inutile, Lili ne la connoissoit point. C'est ainsi que madame de Rosambur chercha a corriger sa fille, tout en veillant sur elle, en mere tendre et raisonnable. Lili embrassa mille fois son papa et sa maman, pour les remercier de leur extreme bonte; elle promit de ne plus jamais leur desobeir, et on assure qu'elle a tenu parole. TROISIEME CONVERSATION. Madame Belmont mena un jour Mimi avec elle pour faire des visites. La petite se conduisit assez bien; mais sa maman remarqua qu'elle repondoit toujours _oui, non_, tout court. Rentree a la maison, elle lui en fit des reprimandes. Mimi pleura un peu, puis enfin elle secha ses larmes; et, selon son habitude, elle prit sa poupee, pour repeter avec elle tout ce qu'elle avoit fait de bien dans ses visites, et la gronder pour les choses auxquelles elle avoit manque. Venez ici, Zozo; j'ai bien des choses a vous dire. Vous avez bien fait, et mal fait. Savez-vous en quoi?--Non maman.--Eh bien! je vais vous l'apprendre. Quand nous sommes entrees chez madame _L._, vous avez fait la reverence; c'est bien. Vous avez repondu comme une belle fille, lorsque cette dame vous a souhaite le bonjour; vous avez eu soin de vous moucher souvent; vous avez ete sage tout le temps que votre maman a ete chez madame _L._; vous avez remercie poliment quand cette dame vous a donne des bonbons. Tout cela est bien; mais avez-vous vu les grands yeux de maman, quand vous avez demande a boire?--J'avois bien soif! Il falloit attendre, ou le dire a maman bien bas, bien bas; et puis, lorsque madame _L._ vous a voulu donner des confitures, vous avez dit a maman que vous aviez faim, par gourmandise, n'est-ce pas? Vous n'osez pas repondre! vous vous etes tenue fort mal; cependant maman vous a frappee deux fois sur le cou! J'ai encore une chose a vous dire, Zozo; quand on eternue, on met toujours son mouchoir ou ses mains devant sa figure, et vous ne l'avez pas fait; aussi maman vous a regardee d'un air fache; vous avez baille, parce que la visite de maman etoit trop longue, et c'est fort mal; c'est impoli; maman vous l'a dit cent fois; on ne baille pas; on ne demande pas a s'en aller, comme vous avez fait. Vous meriteriez d'etre en penitence pour cela; vous n'etes pas polie du tout;... vous savez que je vous ai deja grondee pour la meme chose. Quand on vous parle, vous repondez _oui, non_ tout court; c'est fort mal; on doit toujours dire: _Oui, monsieur; non, madame_. Je vais, en vous deshabillant, vous conter une histoire qui vous fera connoitre combien il est dangereux de desobeir sans cesse a ses parens. Ecoutez-moi bien: _La petite Fanny._ Il y avoit une fois une petite fille, appelee Fanny, qui repondoit toujours, _oui, non_, tout court. Cependant son papa et sa maman voyoient chez eux de beaux messieurs et de belles dames bien polis. Le papa et la maman de Fanny etoient honteux d'avoir une petite fille si grossiere! Fanny, lui dit un jour sa maman, si vous ne dites pas bonjour, si vous ne faites pas la reverence, si vous ne repondez pas poliment quand on vous parle, j'appelerai Croque-Mitaine. La petite Fanny ne faisant pas attention a ce que lui disoit sa maman, cette dame appela Croque-Mitaine, qui descendit par la cheminee, avec son grand sac noir; et il emporta la petite Fanny pour lui apprendre la politesse. Voila ce qui vous arrivera, Zozo, si vous etes toujours grossiere. Madame Belmont avoit ecoute avec attention les remontrances de Mimi a sa poupee. Elle voulut profiter des bonnes dispositions ou sa fille se trouvoit pour lui conter une histoire, qui lui servit en meme temps de lecon.--Mimi, lui dit-elle, veux-tu aussi que je conte une histoire?--Oh! oui, maman.--Va chercher ta bourse; mets-toi a travailler, et surtout ne m'interromps pas. Si tu as des questions a me faire, garde-les pour la fin. Ne cause pas non plus avec Zozo; d'abord parce que ce n'est pas poli, et puis parce que tu me ferois tromper. Te voila avertie, ecoute a present. _La petite Fille grossiere._ Monsieur Machaon, medecin, avoit une petite fille nommee Pontie, extremement belle; mais elle etoit grossiere et dedaigneuse! Son papa et sa maman, bons et polis avec tout le monde, cherchoient a la corriger de ces vilains defauts qui la faisaient hair; mais ils n'y gagnaient rien. A l'age de six ans, la petite Pontie ne faisoit jamais la reverence sans qu'on le lui dit; elle regardoit a peine ceux a qui elle parloit. Quand ces personnes etoient mal vetues, c'etoit bien pis! Pontie les examinoit un moment d'un petit air dedaigneux, et s'enfuyoit a toutes jambes, sans leur repondre. Si, a la promenade, une petite fille venoit obligeamment la prendre par la main pour la mener jouer avec elle, Pontie jetoit aussitot les yeux sur sa robe, retiroit sa main bien vite quand elle voyoit l'enfant mal habille. M. et madame Machaon lui avoient pourtant dit cent fois, que les beaux habits ne font pas le merite; qu'une petite fille mal mise peut etre bon sujet, bien douce, bien obeissante, bien savante! Mais, Pontie, naturellement grossiere, se mettoit tout a fait a son aise, quand la toilette ne lui en imposoit pas un peu. Pontie eprouva souvent des mortifications. Quand on lui avoit parle, elle entendoit dire derriere elle: Cette jolie petite fille appartient certainement a une femme de la halle; on le voit bien, malgre sa robe de merinos, garnie de poil, et son elegant chapeau; car elle est trop malhonnete pour etre la fille d'une personne bien elevee: on lui aura prete les beaux habits qu'elle porte. En entendant cela, Pontie devenoit rouge comme du feu, et couroit vite trouver sa maman, mais elle n'avoit garde de lui dire le sujet de son chagrin! Un jour, cette petite fille etant au Luxembourg, se trouva engagee par hasard dans une partie qui lui plut fort. Voici comment. Une pension tout entiere s'etant mise a jouer a Colin-Maillard, la maitresse, assise sur l'herbe, s'amusa a regarder ses eleves, qui rioient du meilleur coeur du monde. Pontie, debout, a deux pas d'elle, montroit assez, par son air, le desir d'etre recue parmi cette belle jeunesse, mais elle n'osoit pas s'avancer. Tenez, venez, mon petit coeur, lui dit la maitresse; vous etes trop gentille pour rester la toute seule a vous ennuyer. Une petite fille polie auroit remercie cette dame par une belle reverence; mais, point du tout. La grossiere Pontie suivit une grande demoiselle qui vint la prendre par la main, et s'eloigna sans repondre et sans regarder seulement la dame qui avoit ete si obligeante a son egard. Cette petite fille est bien mal elevee, dit la maitresse a une de ses pensionnaires; c'est dommage; car elle est gentille! Le jeu ayant dure une demi-heure, les enfans voulurent se reposer. La maitresse de pension appela Pontie, et lui adressa ainsi la parole:--Mon coeur, quel age avez-vous?--Six ans.--Votre maman est-elle ici?--Oui--Venez-vous souvent au Luxembourg?--Oui.--Demeurez-vous loin d'ici? Non.--Vous etes sans doute bien savante?--Je lis le latin et le francais.--Savez-vous quelque chose de memoire?--Des vers que mon papa m'a appris, les dieux de la Fable, et les rois de France. Je sais aussi compter jusqu'a cent.--C'est beaucoup! Apprenez-vous le dessin, la musique?--J'apprends la musique. Elles en etoient la de leur conversation, quand madame Machaon voulant s'en aller, s'avanca pour emmener sa fille. Cette dame fit ses remercimens a la maitresse de pension, et apres l'avoir saluee poliment, elle la quitta. Mimi, dit madame Belmont en s'arretant, comment trouves-tu que cette petite fille se soit conduite dans cette circonstance?--Tres-mal, ma petite maman! mademoiselle Pontie dit _non, oui_, tout court; jamais _madame_! Cela n'est pas bien du tout!... tu as raison, ma bonne amie. Ecoute la suite de mon histoire. Lorsque Pontie fut en allee, la maitresse de pension se mit a parler d'elle: Il est impossible, dit-elle a ses eleves, que la petite fille qui a joue avec vous, appartienne a la dame qu'elle appelle sa mere, et qui l'est venue chercher. Avez-vous remarque a quel point cette petite fille est grossiere? Cependant, celle qu'elle nomme sa mere, est polie comme une dame du grand monde! C'est surement une pauvre enfant qu'elle aura prise par charite!... C'est ainsi que chacun jugeoit Pontie et son aimable maman!... Si cette petite fille eut ete laide et mal mise, on y auroit fait moins d'attention; mais rien n'est si choquant qu'une personne mise elegamment avec des manieres poissardes. Pontie recevait de temps en temps de fortes lecons de la part des etrangers. On lui fit plus d'une fois de mauvais complimens, dont elle ne se vanta pas. On la comparait avec d'autres enfans vetus communement, mais polis, agreables, et, sans balancer, on leur donnoit la preference sur elle: Ces enfans, disoit-on, font honneur a leurs parens, et vous, ma belle demoiselle, vous ne paraissez pas faite pour vos habits.... On ne peut rien dire de plus humiliant! Cependant Pontie ne changeoit pas!... Cette petite etoit non-seulement grossiere, mais, comme je l'ai deja dit, elle etoit aussi tres-vaine! Mademoiselle s'imaginoit qu'elle valoit mieux qu'une autre, parce que son pere et sa mere avoient un joli appartement, une _bonne_ pour les servir, et des habits selon la saison. Pontie n'avoit jamais vu des gens plus riches que son pere et sa mere; elle se croyoit en droit de mepriser ceux qu'elle prenoit pour ses inferieurs. Or, il arriva que son papa et sa maman la menerent un jour aux Tuileries. M. et madame Machaon prirent des chaises, et la petite courut ca et la autour d'eux. Elle fut arretee par une dame qui se reposoit sur un banc voisin. Cette dame, fort agee, ne voyoit presque plus! elle etoit vetue bien pauvrement; aussi Pontie la toisa des pieds a la tete lorsqu'elle lui prit la main pour lui parler.--Ou sont vos parens, mon petit coeur?--La, sur des chaises.--Vous ne me reconnoissez pas?--Non.--Ah! il est vrai! vous etiez si petite la derniere fois que je vous ai vue! comme vous etes grandie, embellie!... A ce compliment flatteur, la petite fille retira sa main brusquement, et s'enfuit vers sa mere, a laquelle elle dit qu'une _pauvresse_, et elle la lui montra du doigt, venoit de lui parler, et qu'elle lui avoit pris la main! J'ai eu peur! ajouta Pontie, cette femme m'auroit peut-etre pris mes boucles d'oreilles!--Ma fille, lui dit sa maman, les _pauvresses_ n'entrent pas dans ce jardin. En disant cela, madame Machaon regarda du cote que lui indiquoit sa fille, et elle vit une dame assez mal mise; mais qui avoit l'air tres-respectable. Madame Machaon crut se rappeler ses traits; cependant elle ne la reconnut pas d'abord. Elle fit a sa fille une forte reprimande sur son eloignement pour les personnes mal mises, et lui apprit que souvent les haillons de la misere couvrent des personnes du premier merite, tandis que l'or et la soie qui plaisent aux yeux, habillent quelquefois de fort malhonnetes gens. Ensuite elle se leva pour s'en aller, et passa expres du cote de la dame mal vetue. M. Machaon ne l'eut pas plutot vue, qu'il s'ecria: C'est madame la duchesse de _L.!_... et s'avancant vers elle avec respect, il la salua profondement, lui demanda de ses nouvelles, et lui presenta sa femme et sa fille. La duchesse lui fit mille questions sur sa fortune et sur sa famille. Elle embrassa Pontie, qui cette fois ne retira point sa main. Quand l'enfant eut quitte la duchesse, sa maman lui fit remarquer combien les apparences sont trompeuses!... Vous le voyez, ma fille, lui dit-elle, madame la duchesse de _L._, femme du plus grand merite, qui a eu un equipage, des gens pour la servir, un bel hotel, de beaux habits, une grande fortune enfin, est a present dans la misere, par une suite de malheurs! Faut-il donc la mepriser pour cela?--Je ne savois pas que c'etoit une duchesse, dit la petite.--Le titre n'y fait rien, reprit la maman; il suffit que la personne soit estimable. Ah! ma chere enfant, gardez-vous de dedaigner le pauvre; car Dieu ne vous beniroit pas!... Soyez aussi polie avec tout le monde, car vous n'etes pas en etat de distinguer a qui vous avez affaire. D'ailleurs, si, par hasard, vous vous adressiez a quelqu'un qui ne le meritat pas, vous n'en passeriez pas moins pour une petite fille aimable et bien elevee. Pontie promit a sa maman d'etre plus polie a l'avenir, et veritablement la rencontre de la duchesse lui avoit fait une forte impression! Quelque temps apres, cette dame gagna un proces considerable; elle reparut dans le monde avec un train magnifique et de beaux habits. M. Machaon retourna chez elle comme autrefois; il y mena sa femme et sa fille que la duchesse combla de presens. Pontie devint polie, et tout a fait aimable; et la duchesse de _L._ en fit sa favorite. QUATRIEME CONVERSATION. Madame Belmont, profitant d'un beau jour, mena Mimi aux Champs-Elysees, et sur l'avenue de Neuilly. Zozo etoit aussi de la partie. Au retour, Mimi prit sa poupee, et lui parla ainsi: Zozo, vous allez avoir votre bonnet de nuit, parce que je suis fort mecontente de vous. Comment, Mademoiselle, vous revenez sans chapeau, et vous avez dechire votre robe! savez-vous bien que vous me coutez beaucoup d'argent; je n'en ai plus pour mon menage; vilaine petite fille que vous etes! (Elle la tape.) Que dira votre papa quand je lui demanderai un chapeau pour vous? il grondera!... Voyez comme vous etes sale! aussi vous vous etes trainee dans le sable fort joliment; vos mains sont-elles assez noires! ne me touchez pas, petite malpropre!... Pourquoi, Mademoiselle, avez-vous quitte maman aux Champs-Elysees? pourquoi, malgre sa defense, avez-vous joue avec des petites filles que vous ne connoissiez pas? ah! vous etes desobeissante, vous allez avoir le fouet! (Elle la fouette.) Ah! ah! vous l'avez bien merite! un chapeau perdu, l'ombrette de maman cassee, une robe dechiree!... les enfans sont ruineux, en verite!... En rentrant, comment avez-vous demande a boire? Jeannette, donnez-moi a boire, sans dire s'il vous plait, ou je vous prie. Est-ce comme cela que je vous eleve? Cette pauvre Jeannette, qui est si bonne fille, vous lui parlez quelquefois avec un ton fort malhonnete! je lui ai dit pourtant de ne vous rien donner que vous ne demandiez poliment; mais vous abusez de sa bonte!... Voyons un peu la mythologie; il y a long-temps que je ne vous ai fait de questions sur cela. Qu'est-ce que Saturne? ZOZO. Il est fils du ciel et frere de Titan. MIMI. Et Jupiter? ZOZO. C'est le fils de Saturne et de Cybele. MIMI. Quels sont les freres et soeurs de Jupiter? ZOZO. Ceres et Junon, ses soeurs; Neptune et Pluton, ses freres. MIMI. Qu'est-ce que Ceres? ZOZO. La deesse des bles. MIMI. Qu'est-ce que Jupiter? ZOZO. Le dieu du ciel. MIMI. Quel est le dieu de la mer? ZOZO. Neptune. MIMI. Et celui des enfers? ZOZO. Pluton. MIMI. Qu'est-ce que Junon? ZOZO. La soeur et la femme de Jupiter. MIMI. C'est fort bien! en voila assez. Prenez votre ouvrage a present. Si vous etes bonne fille, demain je vous acheterai un chapeau. Faites cet ourlet bien droit, et a petits points. Pendant ce dialogue, madame Belmont s'etoit deshabillee. Elle prit son ouvrage et appela sa fille, qu'elle fit asseoir aupres d'elle. Mimi, lui dit elle, avant que tu te couches, il faut que je conte l'histoire d'une petite fille que j'ai vue aujourd'hui, en faisant des empletes. Je veux, aussi te faire voir cette aimable enfant; elle est charmante, car elle est jolie et sage comme un petit ange. _La petite Marchande._ Madame Derbelet resta veuve de bonne heure, avec une petite fille de six ans. Cette dame loua une boutique; elle se mit a vendre du fil, du ruban, et toutes sortes de choses analogues. Blanche, c'est ainsi qu'on nommoit sa petite fille, lui tenoit lieu de fille de boutique. Cela t'etonne, Mimi, dit madame Belmont en s'interrompant, et tu as raison. A six ans, c'est bien jeune; mais Blanche n'etoit pas un enfant ordinaire. Cette petite savoit tres-bien lire; elle connoissoit toutes les etiquettes de la boutique. Quand sa maman etoit occupee, Blanche servoit ceux qui venoient acheter du fil, des epingles, du ruban, etc., avec une grace charmante; elle etoit surtout complaisante et polie a faire plaisir. Sa vivacite, ses graces, sa gentillesse la faisoient aimer de tout le monde: on venoit expres de bien loin pour voir la petite marchande; et, en peu de temps, la boutique fut achalandee, c'est-a-dire qu'il y vint un grand nombre de personnes pour acheter des marchandises, et Blanche en eut tout l'honneur. Ce n'est pas que sa maman ne s'entendit pas au commerce, au contraire, elle etoit douce, aimable, gracieuse: c'etoit elle enfin qui avoit eleve Blanche; mais on s'interessoit davantage a la petite fille a cause de sa jeunesse: d'ailleurs il est si rare de voir un enfant se livrer volontairement a des occupations serieuses!... aussi chacun parloit de la petite marchande; on l'elevoit au ciel. Ne crois pas, Mimi, que Blanche fit parade de ses petits talens; bien au contraire, elle etoit extremement modeste, et elle paroissoit meme ignorer l'admiration qu'elle inspiroit. Quand sa maman tenoit le comptoir, Blanche prenoit sa petite chaise, et s'asseyoit sur le pas de la porte avec son ouvrage, sans lever les yeux pour voir les passans. Elle ourloit des mouchoirs, des serviettes, des cravates, et faisoit des petites chemises pour les enfans, non pas pour s'apprendre a travailler, mais pour vendre, car sa maman tenoit aussi du linge tout fait. La petite marchande etoit payee par sa maman comme une ouvriere: un ourlet, deux liards; une chemise d'enfant, six sous; une aune de feston, quatre sous; ainsi du reste. Blanche mettoit cet argent dans une tire-lire, et l'en retiroit deux fois l'annee, au commencement de l'ete et au commencement de l'hiver, pour s'acheter les choses dont elle avoit besoin. Malgre ses occupations, Blanche trouvoit encore du temps pour etudier. Sa mere la faisoit lire deux fois le jour, et un maitre venoit lui apprendre a ecrire et a compter. En peu de temps, et par son application, la petite marchande en sut assez pour faire des factures, c'est-a-dire pour ecrire le nom et le prix des marchandises que l'on vendoit. En grandissant, Blanche devint de plus en plus la consolation de sa mere, qui l'aimoit a la folie! Bientot la petite marchande eut occasion de faire connoitre a quel point elle etoit raisonnable. Sa maman etant tombee malade tres-serieusement, Blanche tint la boutique comme une grande personne. Elle eut la discretion de ne point dire que sa mere gardoit le lit, de sorte qu'on la croyoit toujours pres d'elle. La bonne se meloit du menage; elle soignoit la malade, et Blanche, sans sortir du comptoir, recevoit les acheteurs. Enfin la maman se retablit; elle trouva la boutique aussi florissante qu'elle l'avoit laissee. Cette bonne mere reconnut avec plaisir qu'elle devoit a sa fille la conservation de ses pratiques. Blanche devoit eprouver des chagrins, personne n'en est exempt. Elle eut le malheur de perdre sa mere a onze ans, et elle en fut inconsolable!... mais elle avoit assez de raison pour moderer sa douleur, dans la crainte d'eloigner ceux qui venoient a sa boutique. Blanche reparut en grand deuil, triste, mais toujours douce, polie, affable comme du vivant de sa mere. Une de ses tantes vint demeurer avec elle, mais seulement pour tenir la maison. Blanche, devenue encore plus raisonnable par la perte qu'elle avoit faite, fut en etat de garder la boutique pour son compte. Son nom resta sur l'enseigne, et elle s'en trouva bien, car la reputation de la petite marchande etoit faite. En peu de temps, Blanche fit sa fortune; elle la dut a son joli caractere et a sa bonne conduite. Mimi fut bien satisfaite de l'histoire que madame Belmont venoit de lui raconter; la soiree s'etoit passee trop vite a son gre, et l'heure a laquelle elle avoit habitude de se coucher etant sonnee, sa maman la fit mettre au lit. Le lendemain, madame Belmont etant indisposee, garda sa chambre; Mimi, qui aimoit tendrement sa mere, ne voulut pas la laisser seule pour aller se promener. Il falloit bien passer son temps a quelque chose: Mimi s'entoura de chiffons, gronda sa poupee, prit et laissa vingt fois ses joujoux dans l'espace de deux heures. Ne sachant plus que faire, elle s'empara du chat, et lui mit une des cornettes de Zozo. Minet etoit si drole avec cette coiffure, que sa petite maitresse rit aux larmes en le regardant. Comme le jeu plaisoit a Mimi, elle voulut finir la toilette de minet, et l'habilla en dame. La petite parvint avec peine a lui mettre un collier et un fichu; mais lorsqu'elle en vint a la robe, Minet voulut s'enfuir!... Cependant Mimi avoit resolu d'en venir a son honneur. Elle prit une des pattes du chat et la fourra dans une manche avec beaucoup de peine; mais quand ce vint a l'autre, Minet miaula, jura a faire trembler, parce que Mimi lui faisoit du mal. La petite lui donna de bons soufflets! elle etoit contrariee de ne pas le trouver assez complaisant pour se preter a ses fantaisies.... Voyant qu'il lui etoit impossible de lui faire mettre la robe de Zozo, elle la lui attacha sous le col. Minet, impatiente d'etre tourmente ainsi, profita d'un moment ou il etoit libre pour se sauver sous le lit; mais la petite, l'ayant attrape par la queue, le tira de toutes ses forces. Le chat, deja en colere, se retourna avec vivacite, et lui egratigna la figure, les bras et les mains, puis il s'echappa malgre elle. Mimi se mit a pleurer, autant d'humeur que du mal que Minet lui avoit fait. [Illustration: _Le Chat coiffe._] [Illustration: _Le mechant petit garcon._] Madame Belmont, qui connoissoit sa fille, se douta de l'aventure en voyant courir Minet en robe trainante, et coiffe si joliment!--Pourquoi pleures-tu, Mimi, lui demanda-t-elle?--C'est que Minet m'a egratignee!...--Cela m'etonne; il est si doux! tu lui as donc fait du mal?--Non, maman.--Tu mens, Mimi! Je l'ai seulement tire par la queue; mais c'est que je voulois le retenir!... Au meme instant, Minet parut affuble du bonnet et de la robe de Zozo. Madame Belmont ne put s'empecher de sourire. Elle appella le chat, le debarrassa de ses chiffons, et, se trouvant mieux, elle se mit sur son seant, fit venir Mimi aupres d'elle, et lui raconta l'histoire suivante: _Histoire de Marinette._ Il y avoit une petite fille, nommee Marinette, qui, toute jeune, annoncoit un mauvais coeur en faisant du mal aux animaux. Sa maman lui disoit: Ma bonne amie, les pauvres betes que tu te plais a tourmenter, ont comme toi de la chair, du sang et des os. Dans le nombre, il y en a d'infiniment petites; mais ce n'est pas une raison pour qu'elles souffrent moins. Un petit chien a qui on casseroit une patte, eprouveroit les memes douleurs que le plus gros de son espece. Une mouche dont on arrache les ailes se plaint a sa maniere; on ne l'entend pas, parce que sa petite voix ne peut frapper l'oreille. Que diroit-on d'un homme qui, pour s'amuser, creveroit un oeil a un ane, couperoit la tete d'un cheval, casseroit les quatre pattes d'un chien, et feroit mille autres cruautes de cette espece par simple passe-temps? on le fuiroit comme un monstre redoutable a l'espece humaine, parce qu'on ne pourroit croire qu'il fut capable d'en agir ainsi avec les animaux, si son coeur n'etoit pas dur et impitoyable. Cela s'applique a toi, Marinette, continuoit la maman; que penseront ceux qui te voient sans cesse prendre des mouches pour les enfiler, leur casser les pattes, arracher leurs ailes, et leur couper la tete? Est-ce la facilite que tu as a detacher ces parties de leur corps qui te fait croire que ces petits animaux ne souffrent point? Si tu penses ainsi, ma chere, tu t'abuses; vois les precautions que l'on prend avec un petit enfant, pour ne pas lui briser les os. Si on le laissoit tomber, avant qu'il ait pris des forces, il se casseroit bras et jambes, et souffriroit des douleurs incroyables. Tout etre vivant, ma chere amie, est susceptible de la meme sensibilite, et c'est etre barbare de se faire un jeu d'oter la vie meme a un insecte. Ces excellentes lecons faisoient peu d'effet sur Marinette, qui s'amusoit d'un chat, d'un chien, d'un oiseau, comme elle eut fait d'un morceau de carton. Un jour, madame de Lime, sa maman, ceda a sa priere, en prenant un joli chat, a poil long, blanc comme la neige. On cherchoit a interesser Marinette a ces petits etres, par la vue journaliere de leurs gentillesses. D'abord l'enfant caressa beaucoup le Minet, qu'elle nomma _Bibi_; mais bientot, devenant exigeante, elle lui fit faire l'exercice, et mille autres choses que _Bibi_ n'aimoit pas du tout. Alors mademoiselle Marinette le tapoit de la bonne maniere, et, si madame de Lime n'etoit pas la pour le proteger, _Bibi_ avoit les pattes tortillees, les poils arraches, et force soufflets: Marinette en colere ne le menageoit pas. Madame de Lime eut un chien. Elle se flatta que les aimables qualites de ce fidele animal gagneroient le coeur de sa fille. Ce beau caniche fut nomme _Pouf_. Il devint bientot l'ami de la maison, et s'attacha surtout a la petite, quoiqu'elle le maltraitat souvent. Or, il arriva qu'un jour M. et madame de Lime, etant a la promenade dans un jardin public ou il y avoit beaucoup de monde, se trouverent separes de leur fille. Qu'on juge de l'inquietude de ces bons parens!... Ils s'apercurent aussi que _Pouf_ n'etoit plus avec eux. Ils chercherent partout Marinette; n'en ayant pas eu de nouvelles, ils revinrent chez eux a la nuit, bien affliges. Marinette etoit arrivee avant eux a la maison: _Pouf_ qu'elle tenoit en laisse, l'y avoit conduite aussitot qu'il avoit eu perdu ses maitres. Si la petite fut bien embrassee, le chien intelligent et fidele eut aussi sa part des caresses. Marinette seule ne lui sut aucun gre du service qu'il lui avoit rendu. Le bon chien sembloit redoubler d'attachement pour l'enfant; mais il avoit beau faire, Marinette ne s'en apercevoit pas. Jamais la petite ne le flattoit; jamais on ne lui voyoit donner une seule bouchee de pain a ce bon animal. _Pouf_ venoit aupres d'elle, en remuant la queue; il lui donnoit la patte, lui lechoit les mains; la mechante enfant repondoit a ces signes d'affection par un coup de pied, ou en le frappant de ce qu'elle tenoit alors, ce qui quelquefois faisoit faire des cris lamentables au pauvre chien. Cependant les duretes de cette petite fille ne rebuterent point le fidele _Pouf_, qui sembloit dire: Tu es la fille de mon maitre que j'aime; je dois t'aimer aussi. Marinette grandit sans devenir plus sensible pour les animaux. Tous les jours, malgre la surveillance de sa maman, il y en avoit quelques-uns de sacrifies a ses cruels plaisirs. Une fois entre autres (la seule pensee m'en revolte!) une marchande, qui ne la connoissoit pas, lui donna un petit moineau. Marinette lui attacha un ruban a la patte, et le fit voler comme un hanneton. Le malheureux oiseau tomba par terre tout etourdi; le chat sauta dessus et le mangea!... Marinette fut plus surprise qu'affligee de cette aventure; mais sa maman etant survenue, et ayant appris ce qui venoit de se passer, fouetta sa petite fille d'importance!... Marinette l'avoit bien merite!... Qu'en penses-tu, Mimi?--Oh! c'etoit une mechante que cette demoiselle! qu'elle ne vienne pas prendre notre petit serin; je l'en empecherai bien! Des ce moment, il fut defendu a la mechante Marinette de prendre des mouches ou autres insectes, de jouer avec des hannetons, et surtout de toucher aux oiseaux, aux chats et aux chiens, sous peine d'etre punie severement. Marinette avoit six ans, et son coeur ne s'etoit pas encore attendri une seule fois sur le sort des petits malheureux qui etoient tombes entre ses mains, lorsqu'un evenement qui arriva a cette epoque la changea tout a coup, et la rendit aussi sensible qu'elle avoit ete dure jusqu'alors. J'ai dit que _Pouf_, toujours bon, toujours fidele, lui temoignoit la plus vive affection, malgre les mauvais traitemens qu'elle lui faisoit souffrir. On eut dit meme qu'il avoit pour elle une preference marquee; soit que l'enfance interesse jusqu'aux animaux memes, soit qu'eleves ensemble, ce chien eut pris pour elle un attachement plus tendre que pour M. et madame de Lime. Quelques affaires etant survenues a M. de Lime, la petite famille fut obligee de faire un voyage, a 60 lieues de sa demeure habituelle. Il etoit impossible d'emmener le fidele _Pouf_. On le recommanda aux domestiques, et malgre les signes d'une douleur bien sincere, le chien resta a la maison. Prive de ses chers maitres, _Pouf_ ne voulut prendre aucune nourriture. Il se lamentoit le jour et la nuit, et se tenoit couche constamment sur une robe du matin de Marinette, qu'on avoit laissee par megarde sur un fauteuil. Pendant huit jours, _Pouf_ ne but que de l'eau; il etoit devore par une fievre ardente, qui causa sa mort. La famille etant revenue, ce bon chien rassembla toutes ses forces, pour temoigner a ses chers maitres combien il etoit content de les revoir; ensuite il fut se coucher aux pieds de Marinette, lui fit mille caresses, et, tournant ses yeux sur elle comme pour lui dire un dernier adieu, il expira. Marinette pleura amerement son cher _Pouf_!... Cette mort singuliere avoit fait une forte impression sur son esprit. Depuis ce temps, elle fut toujours bonne pour les pauvres betes qui se trouverent dans sa depandance, et elle se reprocha souvent la conduite qu'elle avoit tenue avec eux dans ses jeunes annees. Maman, dit Mimi a madame Belmont, lorsqu'elle eut fini, est-ce que les chiens sont aussi bons que vous le dites dans cette histoire?--Mille fois davantage, ma bonne amie. On a vu souvent un chien sauver la vie a son maitre, ou mourir pour lui prouver sa fidelite, soit du chagrin de l'avoir perdu, soit pour ne pas abandonner le depot confie a sa garde. --Maman, les chats ne sont pas si attaches que les chiens?--Ma fille, ils le sont aussi a leur maniere; mais leur attachement est moins desinteresse, moins touchant que celui du chien. Un chat est un animal utile; il a beaucoup d'instinct, et il est parfois tres-aimable. Sans m'arreter a chercher ceux d'entre les animaux qui meritent particulierement notre affection, je repeterai qu'en general, il faut les traiter tous avec douceur, leur donner le necessaire, puisqu'ils sont dans notre dependance, et ne jamais leur faire de mal, a moins d'y etre force par la necessite.--Mais ceux que nous mangeons, il faut bien les tuer? Helas! oui, il le faut! mais ce seroit une barbarie de les faire souffrir avant de leur donner la mort: celui qui les bat impitoyablement est bien coupable. Cela me rappelle une petite histoire que je vais te raconter.--Oh! tant mieux, maman, tant mieux!... _Le mechant petit Garcon._ Paul etoit un jeune homme querelleur et mechant; aussi il n'etoit aime de personne a cause de ses mauvaises qualites. Son plus grand plaisir etoit de faire du mal a tous les animaux qu'il rencontroit: s'il voyoit un chien dans la rue, il lui jetoit une pierre, ou lui donnoit un coup de baton; il se faisoit un jeu de faire sauter les chats par les fenetres; quelquefois meme il leur coupoit les oreilles et la queue; c'etoient pour lui des gentillesses. Un jour il attela un chien a un chariot qu'il avoit charge de pierres: Tu es maintenant mon cheval, lui disoit-il; et il le frappoit rudement, parce que ce petit animal ne pouvoit pas trainer ce chariot, dont la charge excedoit ses forces. Sur ces entrefaites, Nicolas, pere de Paul, arriva par hasard. Temoin de la cruaute de son fils, il le saisit par le bras, et l'attachant a une grande voiture, il lui ordonna de la trainer. Paul, incapable de remuer seulement cette lourde masse, assura son pere que cela lui etoit impossible. Nicolas, sans l'ecouter, prit un fouet, et lui en donna sans misericorde. Le petit garcon jetoit les hauts cris!--Ce traitement t'amuse-t-il? lui demanda son pere. Paul ne repondit que par ses pleurs.--Eh bien! ajouta Nicolas, penses-tu que ce chien que tu fais souffrir, soit moins sensible que toi a la douleur, et que les coups de fouet lui soient plus supportables qu'a toi? Tu ne dois faire du mal a aucun etre vivant, si tu ne veux, a ton tour, etre maltraite toi-meme: souviens-toi de cela! Paul oublia bientot cette lecon. Quelques semaines apres, une hirondelle lui tomba entre les mains; il lui arracha toutes les plumes les unes apres les autres. Son pere decouvrit encore ce nouveau trait de cruaute. O Dieu! dit-il en soupirant; que je suis malheureux d'etre le pere d'un enfant qui sera peut-etre un jour la honte et l'opprobre de ma maison!... Transporte de colere, il se rendit aupres de Paul, et lui dit: Mechant enfant! ne t'avois-je pas averti que toutes les fois que tu ferois du mal aux animaux, ou que tu serois cruel envers un etre vivant, quel qu'il fut, je le serois de meme envers toi? Tu as arrache sans pitie les plumes de ce petit oiseau, et ses cris plaintifs n'ont pas emu ton coeur de roche!... Je veux te donner une idee des douleurs excessives que tu as causees a cette innocente creature.... En meme temps, Nicolas saisit le mechant Paul par les cheveux, et lui en arracha une touffe. Paul poussoit des cris lamentables; mais personne ne le plaignoit, parce qu'on connoissoit son mauvais coeur. Un jour, que Paul avoit fait une nouvelle mechancete, un homme de merite, qui en fut temoin, la lui reprocha avec amertume; il lui predit un avenir funeste: il est impossible, lui dit-il, que vous ne trouviez point quelque jour le chatiment des souffrances que vous faites endurer a ces animaux, que Dieu n'a donnes a l'homme que pour etre sa joie et sa satisfaction. Si jamais vous eprouvez de grandes douleurs, souvenez-vous de ce que je vous dis aujourd'hui. Paul se moqua des remontrances et des predictions de l'honnete homme qui lui parloit. Il continua d'etre cruel envers les animaux, et finit enfin, comme cela devoit etre, par etre barbare avec ses semblables. Il fut meme sur le point de tuer un de ses amis qui lui reprochoit ses defauts. Etant devenu grand, Paul se fit soldat; mais qu'arriva-t-il? dans la premiere bataille ou il se trouva, un boulet de canon lui emporta les deux jambes. On l'enleva comme mort. Les douleurs inexprimables qu'il ressentit ensuite, lui arracherent des cris affreux!... Lorsqu'on mit le premier appareil sur ses blessures, l'aumonier du regiment, ecclesiastique pieux et zele, cherchoit a lui inspirer du courage et de la patience; mais les douleurs insupportables que Paul souffroit, lui rendoient ces consolations tout a fait inutiles. Quand il fut plus calme, il se souvint des cruautes qu'il avoit exercees dans sa jeunesse envers les animaux; il se rappela aussi la prediction qui lui avoit ete faite par l'ami de son pere: Ah! s'ecrioit-il, qu'ai-je fait! je sens a present la grandeur de ma faute! Dieu est juste; il me punit comme je l'ai merite.... Paul, tout estropie, vecut encore dix ans, allant de ville en ville pour recueillir quelques aumones. Cette vie miserable n'etoit encore rien en comparaison des reproches qu'il s'adressoit a lui-meme; car de tous les maux, le plus insupportable est la certitude d'avoir merite les peines que l'on souffre. Lorsque madame Belmont eut fini cette histoire, elle renvoya Mimi a ses joujoux. La petite fille, selon son habitude, causa bien bas, bien bas avec sa poupee. Il y a long-temps, Zozo, lui dit-elle, que je ne vous ai interrogee. Voyons un peu si vous etes bien savante. Combien y a-t-il de jours dans l'annee? ZOZO. Trois cent soixante-cinq. MIMI. Dans le mois? ZOZO. Trente, ou trente-un. MIMI. Dans la semaine? ZOZO. Sept. MIMI. Nommez-les. ZOZO. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche. MIMI. Combien y a-t-il de mois dans l'annee? ZOZO. Douze. MIMI. Nommez-les. ZOZO. Janvier, fevrier, mars, avril, mai, juin, juillet, aout, septembre, octobre, novembre, decembre. MIMI. C'est bien; je suis contente de vous. Tenez, voici une piece neuve pour votre recompense. Venez, que je vous embrasse. Mimi et Zozo repetoient toujours a peu pres les memes choses: c'etoient des lecons de lecture ou de politesse: Mimi etoit l'echo de sa mere. Un jour que la petite avoit rempli ses devoirs mieux encore que de coutume, sa maman la fit venir aupres d'elle pour lui conter une _histoire_, chose qu'elle aimoit par-dessus tout. Viens ici, ma bonne amie, lui dit madame Belmont, j'ai une histoire a te raconter. Mimi prit son petit tricot; elle fut s'asseoir aupres de sa maman comme une fille raisonnable, et madame Belmont commenca ainsi. _Le revenant._ Il y avoit une fois une petite fille, nommee Lolotte, qui avoit peur de son ombre. Elle n'auroit pas ete seule, sans lumiere, la nuit, dans un lieu obscur, pour un tresor!... Lolotte etoit agee de dix ans. Elle couchoit dans une chambre, dont la porte donnoit dans le cabinet de sa bonne. Lolotte se portoit bien; on pouvoit sans crainte la laisser seule lorsqu'elle etoit couchee. Depuis un an que cette petite avoit quitte la chambre de sa mere, il ne lui etoit rien arrive de facheux. Une nuit, cependant, Lolotte fut reveillee en sursaut par un vacarme effroyable!... Il lui sembla que quelqu'un brisoit a plaisir le dejeuner de porcelaine de sa maman. La pauvre Lolotte fourra sa tete dans son lit, et se couvrit de sa couverture: elle etoit plus morte que vive, et n'osoit pas meme respirer.... Ce bruit ayant cesse, un autre aussi extraordinaire lui succeda. Lolotte entendit distinctement tomber une chaise et un gueridon, et sauter en eclats la carafe et le gobelet qui etoient dessus. Cette fois la petite crut que la maison tout entiere etoit tombee sur elle.... Tremblante de tous ses membres, elle eut cependant le courage de regarder autour d'elle; mais elle vit un monstre, gros comme un elephant, qui faisoit des grimaces effroyables; elle crut meme qu'il s'approchoit de son lit, sans doute pour l'etrangler.... La crainte de la mort donna a Lolotte la force de sauter en bas du lit pour se cacher dans la ruelle: sa tete etoit tout a fait perdue. Lorsqu'elle eut mis machinalement les deux pieds a terre, elle se sentit arretee par sa chemise.... Pour le coup, Lolotte crut etre au pouvoir de _l'esprit_; elle fit un cri percant, et tomba sans connoissance.... Cependant la _bonne_ s'etoit reveillee au bruit. Elle entra avec de la lumiere, vit Lolotte evanouie, accrochee par sa chemise a un clou de sa couchette, et toute la chambre sens dessus dessous. A cette vue, la _bonne_ resta interdite.... Elle releva l'enfant, qui avoit la paleur de la mort sur sa figure, et elle appela le papa et la maman de la petite. On fit revenir Lolotte, et on lui demanda l'explication du degat qui s'etoit fait. Lolotte assura qu'elle avoit vu un _revenant!_ qu'il l'avoit voulu prendre dans son lit, et qu'elle en etoit bien sure.... Les gens raisonnables, qui savent tres-bien qu'il n'y a point de _revenans_, cherchent a s'instruire de la cause d'un bruit quelconque qu'ils ne connoissent pas. Il n'en est pas ainsi des enfans, qui se plaisent a croire des choses impossibles, parce que le merveilleux flatte leur imagination. La maman de Lolotte ne se paya pas d'une reponse aussi peu vraisemblable. Lorsque la petite eut repris ses sens, il s'etablit entre elle et sa mere le dialogue suivant: "Raconte-nous donc, Lolotte, ce qui t'es arrive.--Maman, je ne le sais pas moi-meme.--As-tu vu quelqu'un?--Non, ce n'etoit pas une personne.--Mais, pourquoi as-tu crie, pourquoi t'es-tu trouvee mal?--Ah! j'ai eu si grand'peur!... un spectre m'a precipitee du lit!...--Tu ne sais ce que tu dis, Lolotte.--Maman, un _esprit_, j'en suis sure, est venu dans ma chambre; il a brise vos porcelaines, renverse la chaise, le gueridon, et fracasse le verre et la carafe. Je sais qu'effectivement il est arrive cette nuit quelque chose d'extraordinaire; mais tu ne me persuaderas pas, ma fille, qu'il y ait des _revenans_; conte ces enfantillages aux petites demoiselles de ta pension, et non pas a ta mere. Je vois ce que c'est, tu as fait un reve qui t'a trouble l'esprit: conviens-en.--Oh! je ne dormois point, maman, je vous assure; j'etois a peine couchee, lorsque j'ai entendu casser tout a la fois les tasses et les soucoupes de votre cabaret. La frayeur que j'ai eue m'a fait enfoncer la tete dans mon lit. Au second bruit, bien plus fort que le premier, j'ai regarde a travers les rideaux, et j'ai vu un animal enorme pour la grosseur, qui jetoit du feu par la bouche et par les narines; ses yeux etoient comme deux lumieres qui eclairoient toute la chambre. J'osois a peine respirer; tout a coup ces deux lumieres ont disparu; j'ai entendu alors remuer les volets de la fenetre, et quelque chose de pesant s'est elance contre le mur, et est retombe lourdement. C'etoit bien un _revenant_; car j'ai entendu le bruit des chaines qu'il trainoit....--Mais pourquoi n'as-tu pas appele?--Je n'en avois pas la force; ma langue me refusoit ses services. Pendant quelques momens tout a ete tranquille; mais bientot, a la lueur de la lune, j'apercus un spectre effrayant qui se tenoit pres des rideaux de ma fenetre; il me paroissoit tantot grand, tantot petit. Je me cachois le visage de mes mains pour ne pas le voir; je fis meme quelques efforts pour me lever, afin de me cacher dans mes couvertures; mais je perdis tout a fait la tete quand je vis l'_esprit_ venir a moi. Il m'a saisie par le milieu du corps, et m'a precipitee en bas de mon lit.... O mon Dieu! je frissonne encore quand j'y pense!... Jamais, jamais, je ne coucherai dans cette chambre, ou il revient des _esprits_!..." On ne contraignit point Lolotte a coucher dans sa chambre la nuit suivante; car on vouloit savoir auparavant qui avoit tout culbute dans cette piece. La premiere chose qui etoit venue a l'idee du papa et de la maman, c'est que la petite s'etoit levee en revant, et s'etoit effrayee elle-meme en renversant le gueridon, sur lequel etoient le gobelet et la carafe. Cette pensee, assez vraisemblable une fois adoptee, tout le reste s'expliquoit aisement; car on avoit trouve Lolotte accrochee par sa chemise en voulant descendre de son lit. Ce n'etoit donc rien, ou presque rien. Le papa qui vouloit prouver a sa petite fille, que rien n'arrive dans le monde sans une cause simple et naturelle, decida que Lolotte coucheroit aupres de sa mere, et que lui prendroit le lit de sa fille la nuit suivante. Cette mesure etoit d'autant plus sage, que par-la on s'assuroit si la petite ne prenoit pas l'habitude de se lever en dormant; ce qui auroit pu arriver. D'un autre cote, le papa lui prouvoit, en couchant dans cette chambre, qu'il n'y avoit rien a craindre; car personne ne s'expose volontairement a un danger certain. Le soir etant venu, Lolotte coucha aupres de sa mere, comme il avoit ete resolu, et elle dormit fort bien. Quant a son pere, il ne tarda pas a etre reveille par un bruit qui l'etonna, et le fit mettre sur son seant: il entendit casser un carreau!... Comme il etoit dans le premier sommeil, il s'imagina que c'etoit un voleur qui vouloit ouvrir sa fenetre pour entrer dans l'appartement. Le clair de lune lui permettoit de voir la croisee et meme toute la chambre. Ce monsieur eut beau tenir ses yeux fixes sur la fenetre, rien ne lui annonca qu'un homme cherchat a s'introduire dans sa demeure, et, par reflexion, il rit en lui-meme d'avoir pu seulement arreter sa pensee a une chose aussi impossible, puisque son appartement etoit au troisieme etage. A la verite, il y avoit un toit de communication qui se trouvoit tout proche, mais un homme n'auroit pu s'y tenir, ni y arriver. Le pere de Lolotte faisoit toutes ces reflexions, lorsqu'un nouveau bruit se fit entendre. Ayant tourne les yeux de ce cote, tous ses doutes furent eclaircis: il vit le voleur! car c'en etoit un, ou plutot l'_elephant_, le _spectre_ de la veille. Un couvercle etant tombe, le pere de Lolotte apercut un chat qui, s'etant effraye, cherchoit a s'enfuir, tenant a sa gueule un morceau de viande qu'il avoit pris. Comme il importoit au papa de desabuser sa fille, il sauta legerement du lit, et boucha la fenetre. On reveilla la petite; elle vit le chat, qui avoit encore son vol a la gueule. On lui apprit de plus que la veille, la bonne avoit trouve la fenetre ouverte, circonstance qui s'etoit echappee de sa memoire. Des lors Lolotte fut guerie pour toujours de la peur des _revenans_. Dans la suite, lorsqu'elle entendoit du bruit, elle alloit voir, et touchoit la chose qui l'inquietoit; elle s'assuroit par-la qu'elle auroit eu tort de s'en effrayer. C'est ainsi que Lolotte, de poltronne qu'elle etoit, devint hardie et courageuse la nuit sans lumiere. Oh! dit Mimi, quand sa maman eut acheve son histoire, je serois bien comme Lolotte; je n'ai pas peur!--Je te prends au mot, Mimi; va me chercher mon mouchoir que j'ai laisse sur ma bergere, aupres de mon lit. Mimi y alla sur le champ, en riant de toutes ses forces. Elle ouvrit la porte de la chambre, et s'avancant hardiment, mais beaucoup trop vite, elle attrapa un tabouret qui se trouvoit sur son chemin, et tomba dessus, en jetant un cri! Madame Belmont courut a elle avec une lumiere, et la trouva tout en larmes! T'es-tu blessee, ma fille? lui demanda cette tendre mere!--Non, maman.--Pourquoi pleures-tu donc?--C'est que j'ai eu peur!--Eh! de quoi?--Je n'en sais rien.--Tu as deja oublie comment Lolotte s'est guerie de ses vaines frayeurs. Si d'abord tu eusses marche avec precaution, et qu'en heurtant le tabouret avec ton pied, tu y eusses porte la main, tu aurois vu qu'il n'avoit rien de redoutable. Allons, je vois que tu es encore trop enfant pour faire ton profit de la lecon que je t'ai donnee: remettons-en l'effet a un autre temps. Piquee d'etre appelee _enfant_, Mimi chercha mille pretextes dans la soiree pour aller sans lumiere, dans le salon, dans la salle a manger, et dans les cabinets. Madame Belmont n'eut pas l'air de s'en apercevoir; elle recommanda seulement aux domestiques de ne rien laisser sur le chemin de la petite qui put lui faire du mal. Mimi etoit si fiere de sa victoire, qu'il fallut se facher pour l'empecher de courir de cote et d'autre dans les tenebres, au risque de se casser la tete. Toute joyeuse de s'etre conduite ainsi, la petite pria sa maman de lui conter une histoire.--Il n'est pas encore huit heures, ma chere petite maman, lui dit-elle; je ne me couche pas plus tot; contez-moi une histoire, je vous prie. Madame Belmont devoit une recompense a sa fille pour avoir vaincu sa timidite--J'y consens, lui dit cette dame. Ecoute: _Histoire de Maximilien_. Celui qui veut etre heureux et contribuer au bonheur des autres, doit faire tous ses efforts pour pratiquer cette belle maxime: _Fais aux autres ce que tu voudrois qu'on fit pour toi-meme_. Je vais te raconter une histoire que j'ai lue quelque part, ma chere Mimi, qui te prouvera que Dieu recompense toujours les hommes pieux et bienfaisans, qui aiment leur prochain comme eux-memes. On voit en Alsace un ancien chateau fort, appele _Sternberg_. Il etoit habite autrefois par un riche comte, qui avoit un fils unique, objet de sa plus tendre affection. Maximilien, c'etoit le nom de cet enfant cheri, etoit vif, aimable, actif, laborieux; il mettoit son bonheur a se livrer a l'etude, a faire du bien aux pauvres, et a contenter son pere et sa mere; sa piete filiale le faisoit surtout admirer; car il ne sembloit vivre que pour aimer ceux qui lui avoient donne le jour. Maximilien qui, comme nous l'avons deja dit, ne cherchoit qu'a s'instruire, aimoit surtout les livres de voyages. Lorsque le comte lui parloit des pays etrangers, des moeurs et des usages des peuples qui sont repandus sur la surface du globe, on voyoit la joie la plus vive se peindre sur le visage de cet enfant, qui temoignoit a son pere le desir de voyager lorsqu'il seroit grand. Le comte ayant des affaires qui l'appeloient a Paris, resolu d'emmener son fils, ce qui rendit cet enfant bien joyeux. Heureux au dela de toute expression, il attendoit avec impatience le jour du depart. Ce moment si desire arriva enfin. Des que le petit Maximilien eut perdu de vue le chateau de _Sternberg_, et qu'il fut arrive a la premiere ville, il lui fut impossible de contenir sa joie: sa riante imagination lui peignoit des plus riches couleurs, les beaux pays qu'il alloit parcourir. Lorsqu'ils furent eloignes d'une journee de _Sternberg_, ils prirent un chemin de traverse, qui les conduisit dans un bois fort epais, dans lequel ils s'egarerent; le jour etoit sur son declin. Arrives au milieu de cette sombre foret, ils furent entoures par des brigands, qui, d'un coup de pistolet, renverserent d'abord le cocher; les chevaux s'arreterent. Dans l'instant, six voleurs armes jusqu'aux dents se saisirent de la voiture, et massacrerent le vieux comte qui, en brave militaire, leur vendit cherement sa vie; car il en blessa deux grievement. Ils jeterent hors de la voiture le pauvre Maximilien qui etoit legerement blesse, et, pour ne laisser aucune trace de leur crime, ils mirent les deux cadavres dans le carrosse; l'un d'eux monta sur le siege pour servir de cocher, et bientot ils disparurent. L'infortune Maximilien, penetre de douleur, se trainoit ca et la, et conjurait a haute voix le Seigneur de vouloir bien le delivrer du danger ou il etoit. Un pauvre charbonnier, qui demeuroit dans cette foret, entendit la voix plaintive de cet enfant. Cet homme avoit pour maxime de se conduire envers les autres, comme il desiroit qu'on se conduisit envers lui; ainsi il ne delibera pas long-temps sur le parti qu'il avoit a prendre. Il courut du cote d'ou partoient les gemissemens, et trouva notre malheureux enfant, blesse et pouvant a peine se soutenir. L'honnete charbonnier mit de son mieux le premier appareil sur les blessures de Maximilien; il le chargea ensuite sur ses epaules, et le porta a sa chaumiere qui etoit a une demi-lieue, et situee dans le plus epais du bois. Francois, c'etoit le nom du charbonnier, avoit six enfans, qu'il ne nourrissoit qu'en se livrant chaque jour a un travail penible; mais il avoit appris de bonne heure a se contenter de peu, et a remercier Dieu des moindres faveurs qu'il en recevoit. Ses enfans, eleves dans ses principes, etoient toujours joyeux. Nourris d'un pain noir et d'un peu de lait, ils s'estimoient plus heureux que des rois. Jamais l'envie, l'ambition, et les autres vices qui font le malheur de l'espece humaine, n'etoient entres dans leurs coeurs. Arrive a sa cabane, Francois deposa sur un banc le petit Maximilien, et dit a ses enfans: Je vous amene un frere, mes bons amis. Cet enfant est bien malheureux! des voleurs viennent d'assassiner son pere, et lui-meme seroit probablement mort cette nuit, si le hasard n'eut guide mes pas dans l'endroit ou il etoit. Joignez-vous a moi pour remercier Dieu du bonheur que j'ai eu de l'arracher au sort qui l'attendoit. Mon intention est de rendre cet enfant a ses parens si je puis les decouvrir, sinon de le garder et de l'elever avec vous. Dites-moi, mes amis, l'aimerez-vous comme un frere? Tous s'empresserent de repondre: Oui, nous l'aimerons de tout notre coeur! en meme temps il lui prodiguerent les caresses les plus touchantes, et lui dirent: Petit frere, ne vous chagrinez pas, nous vous aimerons bien. Notre pere vous aime deja autant que nous; il ne faut pas pleurer! Maximilien s'efforca de retenir ses larmes pour ne pas affliger le bon Francois, et les bons freres que la fortune venoit de lui donner; mais dans son coeur, il ne put se consoler de la mort affreuse de son respectable pere! Pendant que les enfans du charbonnier consoloient le petit comte, Anne, leur mere, et femme de Francois, arriva portant sur ses epaules une charge de bois sec. Francois la prit par la main, et lui raconta la triste aventure du jeune enfant: Tu vois, femme, ajouta-t-il, qu'il n'y avoit pas moyen d'abandonner ce petit dans un endroit si dangereux! il sera le septieme; mais Dieu nous benira a cause de lui! Anne avoit un bon coeur; elle dit a son mari qu'a sa place elle en auroit fait tout autant, et caressa le petit comte d'un air franc et ouvert, qui inspira de la confiance a cet enfant. Ainsi accueilli, Maximilien se livra peu a peu a ses nouveaux amis, et sa vive douleur fit place insensiblement a l'affection et a la reconnoissance pour la respectable famille qui l'avoit recu dans son sein. Cependant le bon Francois ne manqua pas de questionner Maximilien sur sa famille, et de tacher de savoir de lui le nom de ses parens, dans l'intention de le rendre a sa mere; mais ce jeune enfant, qui n'avoit jamais entendu appeler son pere que monsieur le comte, ne put dire le nom de sa famille, ni l'endroit qu'elle habitoit; il fallut donc renoncer a cet espoir, et attendre tout du temps. Maximilien se trouvoit heureux chez le charbonnier. Dans le chateau de son pere il n'avoit point ete accoutume a la delicatesse; c'est pourquoi il s'habitua bien vite a la vie dure de ces pauvres gens. Ce bon petit comte partageoit, autant que ses forces pouvoient le lui permettre, les travaux de son pere nourricier, et ceux de ses freres adoptifs; aussi il etoit cheri de tous! Anne benissoit l'heure et le jour ou il etoit entre dans la maison! Maximilien, quoique fort jeune, etoit bien plus savant que ses freres! aussi les soirs, quand la journee etoit finie, il leur racontoit quelques histoires qu'il avoit retenues du temps qu'il lisoit avec son pere: c'etoient toujours de bons et honnetes enfans, bien pauvres, qui, par leur application au travail, etoient ensuite devenus riches. Le charbonnier admiroit le bon sens de cet enfant, et il etoit enchante de son esprit. Maximilien se distinguoit jusque dans ses jeux; il formoit ses freres en les amusant. Quelquefois il leur apprenoit des chansons instructives a la portee des enfans; enfin, s'etant procure quelques livres, il acheva d'apprendre a lire et a ecrire, et servit de maitre a ses freres. Notre jeune comte devint bientot l'enfant cheri de cette pauvre famille, qui se faisoit un plaisir de partager avec lui un pain grossier, gagne par un travail opiniatre et peu lucratif. Maximilien oublia son premier etat, mais il n'oublia ni son pere, ni sa mere. Lorsque dans la solitude, il se representoit le comte massacre par des brigands, des larmes brulantes inondoient ses joues; il elevoit les yeux et les mains vers le ciel, et prioit avec ferveur pour l'ame de ce pere cheri! Lorsque Francois le trouvoit occupe de ce pieux devoir, il prioit avec lui, et le consoloit de son mieux, en relevant son courage abattu, et en lui inspirant une grande confiance en Dieu.... Cependant la mere de Maximilien, n'ayant point recu de nouvelles de son mari ni de son fils, etoit inconsolable; elle se persuada qu'un voyage pourroit dissiper en partie ses chagrins, et peut-etre lui faire retrouver ceux dont elle regrettoit tant la perte; elle se mit donc en chemin. Le hasard voulut qu'elle entrat dans la meme foret ou son mari avoit ete assassine. La chaleur etoit excessive ce jour-la. La comtesse descendit de voiture pour se reposer un moment. Le premier objet qui se presenta a elle fut un jeune et joli enfant qui dormoit a l'ombre. Elle l'examina avec attendrissement, et se rappelant son fils, son visage se couvrit de larmes! Cet enfant etoit le plus jeune des fils du charbonnier, qui, pres de la, s'occupoit a faire des fagots. Henri, c'etoit le nom de l'enfant, se reveilla, et parut etonne de voir une belle dame a cote de lui. La comtesse le prit dans ses bras, lui fit mille caresses, et lui donna une piece d'or. Le charbonnier etant venu sur ces entrefaites, la comtesse s'adressa a lui: Je suis riche, lui dit-elle, je n'ai point d'enfant; donnez-moi celui-ci, je le ferai elever avec soin, et j'assurerai son bonheur, en un mot, je le regarderai comme mon fils. Ce que vous me proposez, Madame, repondit Francois, merite toute ma reconnoissance; mais, grace a Dieu, mes enfans ont en moi un pere qui bien qu'en travaillant peut leur donner du pain. Tant que je vivrai, je ne m'en separerai point, et je tacherai d'en faire de bons et laborieux cultivateurs. Souffrez donc, Madame, que je garde mon Henri. Mais, pour repondre a votre desir, je puis vous faire voir un aimable jeune homme, qui n'est point mon fils, et que j'aime comme s'il m'appartenoit. Cet enfant a perdu son pere; il a ete eleve dans l'abondance, et merite un sort plus brillant que celui que je peux lui offrir: prenez-le avec vous; le Seigneur recompensera votre generosite par d'abondantes benedictions. Ou est cet enfant? demanda la comtesse; montrez-le moi. Francois repondit a cette dame qu'il alloit paroitre dans le moment; aussitot la femme du charbonnier amena Maximilien. La comtesse ne l'eut pas plutot vu, que le reconnoissant pour son fils, elle fut sur le point de tomber en foiblesse. De son cote, Maximilien vola dans les bras de sa mere, et passant ses deux bras autour de son col, il la serra tendrement, et mouilla son visage de ses larmes. [Illustration: _Histoire de Maximilien._] [Illustration: _Celeste et ses Freres._] La comtesse et son fils resterent long-temps embrasses; la joie, le saisissement, de tristes souvenirs causes par l'assurance de la perte du comte, les empechoient de s'exprimer autrement que par des caresses et des larmes. Le bon charbonnier et sa femme, presens a ce spectacle, etoient emus jusqu'au fond de l'ame. Enfin, lorsqu'elle put parler, la comtesse dit: Je vous rends grace, mon Dieu, de m'avoir fait retrouver mon enfant! je mourrai contente, a present que je l'ai vu! faites, Seigneur, qu'il croisse en vertu et en sagesse: rendez-le heureux et honnete homme! Apres cette courte et fervente priere, la comtesse s'adressa au charbonnier et a sa femme; elle les remercia des soins qu'ils avoient donnes a son fils, et leur fit promettre de se rendre avec leur famille au chateau de _Sternberg_, pour y passer leurs jours. Francois donna sa chaumiere a un pauvre fendeur de Bois, qui jusqu'alors l'avoit hai, et lui avoit fait tout le mal dont il avoit ete capable. Le charbonnier suivoit cette belle maxime: _Ne vous vengez jamais qu'a force de bienfaits_. Un honnete homme n'a pas de plus grande satisfaction que de faire du bien a son ennemi. Francois se rendit avec sa famille, au chateau de _Sternberg_, non pour y vivre dans la mollesse, mais pour se rendre utile a la reconnoissante dame, qui le traitoit avec tant de bonte. La comtesse fit elever les enfans du bonhomme avec tout le soin possible, sans cependant les sortir de leur etat. Elle en fit des laboureurs instruits et aises, selon le voeu de leur pere, qui n'auroit jamais consenti a les voir changer de condition; car il avoit su resister par sagesse aux propositions brillantes du jeune Maximilien, qui vouloit faire un partage egal de sa fortune entre ses freres, et leur donner dans le monde un etat honorable. Le jeune comte n'oublia jamais les bienfaits du charbonnier; il l'aima toute sa vie avec tendresse, et remplit a son egard tous les devoirs d'un bon fils envers son pere. On apprit dans la suite que les voleurs qui avoient assassine le vieux comte avoient peri sur un echafaud. C'etoient la plupart des enfans de bonne famille, qui, dans leur premiere jeunesse, avoient ete paresseux, desobeissans, menteurs; ils n'avoient jamais eu de respect pour leurs parens, ni de crainte de deplaire a Dieu. Ils commencerent a voler pour satisfaire leur gourmandise, ensuite pour jouer avec leurs camarades; enfin, etant devenus odieux a leurs peres et meres qui les voyoient se perdre tous les jours, ils s'echapperent de la maison paternelle, et s'associerent a des brigands. Quand madame Belmont eut fini l'histoire de Maximilien, elle dit a Mimi qu'il etoit temps de s'aller coucher; Mimi en eut du chagrin. "Va, ma bonne, lui dit cette dame, je te promets pour demain une histoire beaucoup plus longue: c'est celle de Zozo.--Celle de Zozo, maman! Zozo a une histoire! ha! c'est bien drole!--Oui, l'histoire de Zozo.... Avant de venir ici, ta poupee a appartenu a plusieurs petites demoiselles. Je te conterai les raisons que l'on a eues pour la donner, et comment elle est sortie de leurs mains. Tu pourras profiter de leur exemple. Ah! je vois, c'est plutot l'histoire des petites demoiselles que celle de Zozo.--Tu as trop d'esprit pour en juger autrement; a demain donc: j'espere que tu ne t'ennuieras pas. Le lendemain, Mimi ne manqua pas de prier sa maman de remplir sa promesse.--L'histoire de Zozo, ma petite maman, je vous en prie!--Je le veux bien, Mimi; mais il faut lire auparavant; ensuite nous prendrons chacune notre ouvrage, et je te raconterai les aventures de Zozo. Mimi lut parfaitement bien. Elle apporta sa petite chaise et son ouvrage; et s'etant mise a travailler, madame Belmont commenca ainsi: HISTOIRE DE LA POUPEE. Ta poupee, ma chere Mimi, a ete faite a Lyon. Elle a ete commandee expres; elle a coute beaucoup d'argent. Zozo avait une garde-robe complete, un lit comme une grande demoiselle, une commode pour serrer ses affaires: c'etoit pour une petite fille un present considerable; car independamment de toutes ces choses, Zozo avoit des boucles d'oreilles de perles fines, un collier pareil, une robe superbe, et le reste de sa toilette de meme; parce que la grande dame qui l'avoit fait faire desiroit que toute cette parure servit a la petite demoiselle a laquelle elle la destinoit; c'est pourquoi Zozo est aussi grande que toi. Tout le temps que cette elegante poupee fut chez la marchande, on venoit la voir des quatre coins de la ville; car jamais personne ne s'etoit avise de mettre tant d'argent pour un simple joujou; mais la dame qui vouloit faire ce present avoit l'intention de recompenser le merite d'une petite fille qui fut un modele de piete filiale. C'est de cette enfant dont tu vas entendre l'histoire. _Eugenie, premiere maitresse de Zozo._ Il y avoit dans les prisons de cette ville, un Monsieur d'un grand merite, persecute injustement. Sa famille l'alloit voir; mais, dans la crainte de paroitre suspecte, elle n'osoit pas se rendre a la prison aussi souvent qu'elle l'auroit voulu. Une petite fille de cinq ans prit sur elle de donner a son malheureux pere les consolations qui etoient en son pouvoir, jusqu'au moment qui devoit decider de son sort. Elle alloit chaque jour, matin et soir, visiter son pere. Leste, caressante, pleine de saillies, et de la plus jolie figure du monde, cette charmante petite ne manquoit jamais a ce devoir. C'est vainement que les guichetiers lui resistoient; elle parvenoit a les flechir par ses instantes prieres. Quand elle etoit refusee net, elle attendoit patiemment un moment favorable, et parvenoit a entrer en se glissant sous les bras de ceux qui se presentoient. Alors courant a toutes jambes, tout essoufflee, elle alloit trouver son pere qu'elle caressoit, qu'elle embrassoit mille fois, avec lequel elle rioit et pleuroit tour a tour. Cette aimable enfant sembloit avoir concu toute la profondeur de l'infortune qui accabloit son pere, et la necessite de le soustraire a ses chagrins; elle lui racontoit tout ce qu'elle avoit pu recueillir de plus interessant, et les petites anecdotes de sa famille, qui pouvoient l'arracher a sa douleur. Cette aimable petite etoit devenue un objet d'attente et de distraction pour tous les prisonniers. En sortant, elle se chargeoit de faire leurs petites commissions, et les laissoit dans l'admiration d'une tendresse filiale, qui, pour etre precoce, n'en reunissoit pas moins tous les caracteres qui rendent cette vertu aussi interessante qu'honorable. Madame la princesse de ***, qui s'interessoit au prisonnier, eut assez de pouvoir pour lui faire rendre justice. Elle accabla la chere petite des plus tendres caresses, et lui envoya la belle et riche poupee qu'elle avoit fait faire a son intention, afin de recompenser son attachement pour son pere; mais l'aimable enfant l'eut a peine recue, que de nouvelles persecutions forcerent son pere et sa mere d'abandonner leur pays. La petite fille laissa sa belle poupee a une de ses parentes, dont je vais te parler a present. Mais comment trouves-tu la premiere maitresse de Zozo?--Oh! maman, une petite fille bien gentille! Je voudrais bien lui ressembler! elle aimoit bien son papa! Moi, j'aime bien aussi le mien; mais je n'aurois pas autant d'esprit qu'elle!--Tu en aurois de meme, Mimi, si tu nous aimois tendrement, et que nous fussions en danger.--Oh! maman, si je vous aime! en pouvez-vous douter?--Non, ma bonne amie, je n'en doute pas: ma petite fille, que je cheris, pour laquelle je sacrifie tout, ne peut pas etre une ingrate! Voyons en quelles mains Zozo est tombee. _Coralie, deuxieme maitresse de Zozo._ Coralie avoit sept ans; elle etoit fille d'un riche seigneur; elle unissoit les dons de l'esprit et du coeur, a une figure charmante. Un coeur excellent, une grande sensibilite, une grande douceur de caractere, la faisoient particulierement remarquer. Extremement caressante, on ne pouvoit se defendre de l'aimer; mais son plus bel eloge, c'est d'avoir porte si loin son amour pour sa mere, qu'il l'a conduite au tombeau. Le pere de Coralie, mechant et d'une tres-mauvaise conduite, enferma sa femme dans une tour de son chateau. Apres avoir fait murer les fenetres de son appartement, il ordonna qu'on le tendit de noir et qu'on y suspendit une lampe. La malheureuse dame, abandonnee sans consolation, dans cette espece de tombeau, n'avoit pour nourriture que du pain, qu'elle arrosoit de ses larmes. Pour comble de malheur, son mechant mari lui ota sa fille, son unique societe, et le seul etre qui l'attachat encore a la vie! Coralie, qui aimoit sa mere avec passion, osa dire a son pere: "Tu n'es plus mon papa!... Puisque tu tourmentes maman, et que tu me l'otes, je ne veux plus etre ta fille!..." Surpris et irrite de la declaration franche et naive de sa fille, ce pere violent la maltraita sans pitie, et peu s'en fallut qu'il ne la tuat; mais la petite souffrit avec courage ses mauvais traitemens, et lui dit sans s'effrayer: "Si tu me separes de ma chere maman, j'aime mieux mourir tout a l'heure!" Tant de fermete de la part d'une enfant de sept ans, etonna M. de **. Il cessa de maltraiter sa fille, et chercha a la gagner par la douceur; mais Coralie ne ceda ni aux caresses, ni aux menaces; elle demandoit sa mere avec l'accent du desespoir, et ses larmes ne cessoient point de couler; elle fut deux jours sans vouloir prendre aucune nourriture. Cet epoux barbare aimoit sa fille; il craignit de la perdre, et la rendit a sa mere. La vue de cette enfant cherie ranima l'infortunee dame; elle pressa Coralie sur son coeur, et mela ses larmes a celles de sa chere fille!... Le pere de Coralie l'avoit blessee a la tete en plusieurs endroits; les baisers de sa mere suffirent pour guerir ses blessures; mais son coeur se soulevoit au seul nom de celui qui les faisoit tant souffrir! C'etoit en vain que sa mere lui disoit qu'une fille ne peut pas, qu'elle ne doit pas hair son pere, quels que soient ses torts; la vue de sa mere dans les larmes et dans la douleur l'affectoit trop fortement pour que la raison se fit entendre chez elle. Les mechans ne sont jamais heureux, M. de ** tourmentoit sa femme injustement; mais il etoit lui-meme fort a plaindre, parce qu'il savoit qu'elle le haissoit. L'eloignement de sa fille pour lui faisoit aussi son supplice. Pour lui paroitre moins odieux, il lui envoya sa belle poupee et tous ses joujoux; mais Coralie, occupee de sa mere, ne les regarda pas. Comme cette infortunee, elle ne vivoit que de pain et d'eau; elle avoit a peine de quoi se vetir, et pour se reposer que les genoux et les bras fletris de sa malheureuse mere! Sitot que Coralie fut sure de rester avec sa mere, elle oublia les horreurs de sa prison; elle ne pensa plus qu'elle etoit privee des choses les plus necessaires a la vie. Jour et nuit aupres de celle qu'elle cherissoit, elle vit renaitre sa gaiete naturelle, s'appliqua a ce qui pouvoit plaire a son unique amie, et la consola de son mieux. Coralie sautoit a chaque instant au col de sa mere, et la serrant avec de vives etreintes dans ses bras, elle s'ecrioit avec l'accent de la joie et du ravissement: "Maman! ... nous voici donc ensemble! je suis donc avec toi!" Oh! qu'il est consolant pour une bonne mere d'avoir une enfant qui reponde a sa tendresse! Pres de sa chere Coralie, madame de ** sentoit moins les horreurs de sa nouvelle situation; et les naives caresses de sa fille repandoient au fond de son coeur un baume vivifiant qui la rappeloit a la vie. Resolue de prolonger sa penible existence pour sauver celle de sa fille bien aimee, elle imagina ce qu'elle put pour la distraire. Le desoeuvrement et l'ennui sont des maux insupportables. Madame de ** y remedia, en occupant sa fille tantot a lire, et tantot a coudre. Lorsque Coralie vint s'enfermer avec sa mere, elle n'avoit encore presque rien appris; mais son amie cherie devint son institutrice, et ces lecons donnees et recues par l'amitie profiterent a l'enfant au dela de toute esperance. "Ma bonne amie, dit un jour madame de ** a sa fille, a present tu sais assez bien lire, mais je desirerois que tu apprisses a ecrire; des que tu le sauras, tu ecriras une lettre bien touchante a ton papa: peut-etre le flechirons-nous ainsi, et il nous fera sortir de ce tombeau." Il n'en falloit pas davantage pour engager Coralie a ecrire. L'espoir d'abreger les souffrances de sa mere lui donna une activite surprenante: cette enfant sensible s'appliqua de tout son coeur; elle passoit meme plusieurs heures de la nuit a former des caracteres; et, du moment ou elle put tracer des mots, elle ecrivit sous la dictee de sa mere une lettre a son papa, simple, soumise, et infiniment touchante. Cette lettre, envoyee sur-le-champ, resta sans reponse; il en fut de meme de plusieurs autres. Cette tentative, sur laquelle madame de ** fondoit son espoir, ayant ete infructueuse, elle se laissa abattre; une noire melancolie s'empara de son ame, et sa douleur passa rapidement dans le coeur de sa fille infortunee. Il y avoit pres de deux ans que Coralie etoit enfermee avec sa mere, lorsqu'elle ecrivit a son papa. Jusqu'a cette epoque, cette chere enfant avoit conserve sa gaiete et sa force: le bonheur d'etre sa mere, et la legerete ordinaire a cet age avoient soutenu sa sante, malgre le defaut d'air et la mauvaise nourriture; mais quand la pauvre petite eut apercu l'etat de langueur de sa mere; quand elle la vit sans cesse dans les larmes, et n'ayant plus un moment de repos, une tristesse profonde s'empara d'elle a son tour: son appetit disparut; elle maigrit a vue d'oeil; elle n'eut plus de sommeil, plus d'interet pour rien, si ce n'est pour cette tendre amie a qui elle devoit le jour, et dont elle partageoit le sort si courageusement. Une nuit, Coralie, plus accablee qu'a l'ordinaire, eut un songe qui enflamma son sang; elle crut voir entrer des bourreaux dans la tour, qui venoient oter la vie a sa mere. Elle se reveilla en sursaut, et s'ecria: Ne faites pas mourir maman!... Des larmes ameres inondoient ses joues, et une fievre brulante s'etoit emparee d'elle. Quand elle fut bien reveillee, cette sensible enfant porta ses mains sur le corps et sur la figure de sa mere; ne la sentant pas remuer, elle jeta des cris percans, et s'ecria avec l'accent du desespoir: "Maman! ma chere maman! est-ce que tu es morte?" Sa mere la prit dans ses bras, et la couvrit de baisers. Sois tranquille, chere enfant, lui dit-elle, et calme-toi; je me porte bien. Helas! dit l'enfant, ils etoient la; je les ai vus; ils vouloient te faire mourir! Oh, maman! le vilain reve; et elle le lui raconta. Madame de ** mit tout en oeuvre pour rassurer sa chere enfant; elle lui fit sentir qu'un reve n'etoit point fait pour alarmer; mais la tendre Coralie craignoit pour sa mere, et son coeur etoit oppresse; elle poussoit des soupirs, et serroit fortement sa mere contre sa poitrine, comme pour la garantir du danger qui la menacoit.--Ecoute, maman, que je te dise.--Parle, chere enfant.--Je voudrois mourir, moi.--Eh! pourquoi? tu voudrois donc me quitter?--Maman, c'est que je ne puis te voir souffrir comme cela: bien vrai, nous serions plus heureuses d'etre mortes toutes deux.--Tu as bien raison, dit madame de ** fondant en larmes!...--Maman, donne-moi ta main, ... je sens que mon coeur s'en va ... baise-moi encore, et ... mourons ensemble.... A ces paroles, la pauvre petite rendit en effet le dernier soupir, sur le sein de sa mere evanouie.... Madame de ** chercha a rechauffer le corps glace de sa chere enfant; elle l'appela mille fois avec le cri du desespoir. Mais, helas! sa jeune compagne etoit perdue pour elle!... Apres l'avoir baignee de ses larmes, et couverte de ses derniers baisers, cette malheureuse mere dechira un pan de sa robe, et elle ensevelit le corps de sa chere enfant. Ainsi finit a l'age de neuf ans, la plus interessante petite fille que le ciel eut jamais formee. Pendant tout ce recit, Mimi n'avoit pu travailler, et ses larmes avoient coule plus d'une fois. La mort de Coralie lui fit pousser des sanglots, et sa mere fut presque fachee de lui avoir raconte cette histoire, un peu forte pour son age; cependant comment resister au desir d'apprendre a sa fille qu'il existe des enfans qui ont pour leurs peres et meres une tendresse passionnee?... Mimi, ayant essuye ses yeux, demanda a sa maman, si la mere de Coralie vivoit encore?--Non, ma fille: cette tendre mere mourut de douleur d'avoir perdu son enfant cherie.... Crois, ma petite, que la tendresse d'une mere surpasse encore celle de ses enfans, quelque grande qu'elle soit!... Mais laissons la un sujet si triste, et passons a la troisieme maitresse de Zozo. M. de ** ne voulant rien voir de ce qui avoit appartenu a sa fille, qu'il regrettait sincerement, envoya sa garde-robe et ses joujoux, a une de ses nieces, qui ne demeuroit point dans la meme ville. _Maria, troisieme maitresse de Zozo._ La jeune cousine de Coralie se nommoit _Maria_. Son pere et sa mere qui connoissoient le prix de l'education, lui donnerent de bonne heure les meilleurs maitres. Elle apprit a lire sans degout et sans ennui, avec des caracteres de l'alphabet, traces separement sur autant de petits morceaux de carton qu'il y a de lettres. Par ce moyen facile et ingenieux, Maria, a trois ans, lisoit tres-bien, et savoit orthographier tous les mots qui sont d'un usage commun. A quatre ans, cette charmante petite savoit passablement la langue francaise, la mythologie, la geographie et les principaux traits de l'histoire generale. Sa modestie, sa douceur egaloient ses heureuses dispositions; elle parloit peu, et attendoit toujours qu'on l'interrogeat, sans faire parade de son savoir, quoi qu'elle eut la memoire ornee de quantite de morceaux choisis en vers et en prose. Malgre son gout pour l'etude, elle avoit la gaiete qui convenoit a son age; ses reparties etoient vives, spirituelles, mais la qualite qui la faisoit le plus cherir, c'etoit son extreme sensibilite, fort au-dessus de son age. Cette qualite du coeur qu'elle possedoit dans un degre, eminent, faisoit dire a sa mere, que sa fille seroit bien malheureuse!... Ce fut l'eloge soutenu que M. de ** entendit faire de cette aimable enfant, qui la lui fit choisir pour lui envoyer la belle poupee de sa fille. Le present de M. ** fut accueilli comme il le meritoit. La poupee plut beaucoup a l'enfant, mais elle n'y toucha pas; car a peine l'eut-elle recue, qu'elle fut attaquee d'une maladie longue et douloureuse. Maria souffroit des douleurs aigues; mais elle devoroit ses larmes, pour ne pas affliger les femmes qui la servoient; et cette aimable petite creature consoloit encore sa mere: "Ne pleurez pas, ma chere maman, lui disoit-elle, j'irai prier pour vous. Dans le ciel, ma petite maman, je ne souffrirai plus." Heureusement cette charmante petite fille revint a la vie, pour faire le bonheur de sa tendre mere, par sa douceur et sa sagesse. Afin de hater son retablissement, on la mena a la campagne. C'etoit au commencement de l'ete. La petite n'emporta aucun joujou; sa mere vouloit qu'elle fut sans cesse dans les champs, pour respirer un air pur qui fortifiat son temperament. Maria, qui passa plusieurs annees a la campagne, etoit trop agee, lorsqu'elle revint a la ville pour jouer a la poupee; sa maman la donna a une riche marchande de sa connoissance, dont la fille, appelee Fortunee, n'avoit que cinq ans. _Fortunee, quatrieme maitresse de Zozo._ Jusque-la, Zozo s'etoit toujours trouvee avec des enfans extremement raisonnables; elle n'avoit point ete deshabillee; son trousseau, renferme dans sa petite commode, etoit toujours dans le meilleur etat; son lit bien blanc et bien propre. Mais Fortunee devoit lui faire subir plus d'une metamorphose. Enchantee d'abord en voyant la belle poupee, la petite la tourna en tous sens; ensuite elle lui ota son chapeau, sa robe, puis elle la coucha; puis elle examina ce qui etoit dans la commode, developpa tout, coupa, hacha; tout cela fut l'affaire d'un quart d'heure. A voir comme Fortunee y alloit, il est a croire qu'au bout de huit jours, Zozo auroit ete brisee si elle fut restee entre ses mains. Mais il faut que je te fasse connoitre cette petite fille. Fortunee etoit volontaire, gourmande, babillarde, menteuse, importune, haute et colere a l'exces. Elle trepignoit des pieds quand on lui refusoit quelque chose, battoit sa _bonne_, et repondoit a sa mere avec impertinence. Malheureusement la maman de Fortunee la gatoit; elle excusoit les vilains defauts de sa fille, et les traitoit d'enfantillage. Sa foiblesse fut cause que la petite devint de plus en plus mechante, opiniatre, et fit enfin un mauvais sujet. Cette mere, sans jugement, s'attacha a faire briller sa fille; elle lui donna de tres-bons maitres pour la musique et pour la danse, avant de lui faire apprendre a lire. A six ans, Fortunee dansoit de maniere a etonner; elle touchoit agreablement du piano, mais elle connoissoit a peine ses lettres. Encouragee par les eloges qu'elle recevoit sans cesse, l'enfant devint tres-habile musicienne. Elle parut a la cour, et s'y fit admirer. Mais ses succes memes lui firent du tort: cette petite se crut un prodige. Enivree des louanges qu'on lui prodiguoit, son orgueil la rendit insupportable!... Aussi ignorante sur les choses vraiment utiles, que savante a former des pas, et a executer un morceau de musique, Fortunee n'avoit aucune idee des premieres connoissances qui font la base de l'education; elle ne savoit pas non plus travailler. Sa mere, qui aimait a la faire paraitre dans le grand monde, negligea son commerce, et depensa beaucoup d'argent pour se mettre, elle et sa fille, avec la derniere elegance. Insensiblement, elle dissipa sa fortune et se ruina entierement. Quand Fortunee n'eut plus le moyen de paroitre pour faire etalage de ses talens, on l'oublia tout a fait. Elle fut forcee de rester aupres de sa mere, qui, obligee de travailler pour vivre, regretta amerement de n'avoir pas donne a sa fille, au lieu de danse et de musique, un talent qui put la faire subsister. Incapable d'aider sa mere en travaillant, Fortunee lui donnoit encore beaucoup de chagrin par ses mauvaises qualites. Son orgueil se revoltoit de ce qu'elle etoit obligee de se livrer aux details du menage, car tu penses bien qu'on avoit renvoye les domestiques. Cette belle demoiselle s'ennuyoit de ne plus aller au bal, dans les assemblees, de n'etre plus fetee comme dans le temps qu'elle etoit riche; elle montroit beaucoup d'humeur, repondoit mal a sa mere, et lui reprochoit durement le malheur qui les accabloit. La douleur d'avoir une fille si denaturee, et le chagrin de ne pas avoir forme son coeur, au lieu de lui donner des talens agreables, conduisirent cette mere au tombeau. Fortunee, qui ne savoit rien faire, tomba dans une misere affreuse, et, pour comble de maux, personne ne la plaignit. Voila ce qui arrive, lorsqu'on neglige d'acquerir dans l'enfance des talens utiles, et d'orner son ame de vertus. Quant a Zozo, d'abord Fortunee en fut dans l'enthousiasme, comme je te l'ai dit; mais bientot elle la laissa pour les concerts dont elle faisoit l'ornement, et ou sa vanite etoit satisfaite. Lorsque sa mere vendit ses meubles et ses marchandises pour payer ses dettes, une dame fort riche acheta la belle poupee pour sa fille. Elle chargea une marchande de modes de l'habiller de neuf, et Zozo, plus belle que jamais, passa dans les mains de sa nouvelle maitresse. Lorsque madame Belmont eut fini, Mimi fit une petite grimace, qui temoignait qu'elle trouvait cette histoire moins jolie que les autres.--Je crois, lui dit sa maman, que ma petite musicienne n'a pas le bonheur de te plaire?--Non, maman; je n'aime pas du tout cette Fortunee, si vaine, et qui cependant ne sait ni lire, ni travailler; j'en sais plus qu'elle, moi, puisque je lis dans tous les livres et meme dans l'ecriture, et sans etre orgueilleuse encore!... Si vous n'aviez pas d'argent, je pourrois faire comme Blanche, la petite marchande; j'ourlerois des mouchoirs, et je gagnerois quelque chose.--Oui, dit madame Belmont, tu ferois deux ourlets par jour, tout au plus, ce qui feroit un sou: nous irions loin avec _cet argent_!... Profite, ma chere enfant, du triste sort de la petite dont je viens de te conter l'histoire; applique-toi, emploie ton temps, et remercie le bon Dieu de t'avoir donne un pere et une mere qui te donnent une education solide, et qui travaillent a corriger tes defauts. Ecoute a present l'histoire de Celeste, cinquieme maitresse de Zozo. _Histoire de Celeste._ Celeste etoit fille d'un grand seigneur, qui voulut lui-meme veiller a son education. Celeste avoit une figure charmante, mais c'etoit le moindre de ses avantages; excellent naturel, docilite, amour de l'etude, generosite, sensibilite exquise, discretion, piete filiale, patience heroique dans la douleur, elevation d'ame: cette etonnante petite fille reunissoit tout; elle avoit toutes les perfections. Le pere et la mere de Celeste passoient une grande partie de l'annee a la campagne, parce que la sante chancelante de madame d'Avriller l'exigeoit; c'est pourquoi son mari, homme tres-instruit, se faisoit un plaisir de seconder le precepteur de ses enfans, en leur donnant lui-meme d'excellentes lecons. Celeste avoit deux freres, beaucoup plus jeunes qu'elle, et dont elle s'occupoit comme la mere la plus tendre. Assise tranquillement avec sa poupee, elle les surveilloit, ou se meloit a leurs jeux avec une complaisance charmante. Douee des plus heureuses dispositions, Celeste ne pouvoit manquer d'etre parfaitement instruite, ayant son pere pour instituteur. Elle apprit la musique et le dessin pour lui servir de delassement, mais sans avoir le projet de perfectionner ces talens, parce que, malgre sa jeunesse, toutes les heures de la journee etaient prises, et qu'elle avoit peu de temps a leur donner. Celeste avoit le bonheur d'avoir une excellente gouvernante, sage, laborieuse, adroite, qui lui apprit a faire plusieurs ouvrages de son sexe. Bientot cette jeune personne broda mille jolies choses pour ses parens et pour elle-meme; et quoiqu'elle eut une femme de chambre, elle se coiffoit et s'habilloit seule, en disant qu'on avoit recu de la nature des mains pour s'habiller comme des pieds pour marcher. Bien loin d'etre a charge aux domestiques, Celeste donnoit tous ses soins a ses jeunes freres, et leur servoit de gouvernante; elle manqua meme d'etre la victime de son devouement pour eux. Celeste avoit coutume d'aller tous les jours avec ses freres et sa gouvernante, dans une campagne voisine de leur chateau. Les enfans jouoient sur l'herbe, cueilloient des fleurs, dont Celeste formoit des guirlandes, et la gouvernante tenant un livre, l'oublioit le plus souvent pour admirer l'innocent badinage de ces aimables enfans. Pendant une absence que fit M. d'Avriller, Celeste proposa a sa gouvernante d'aller se promener dans un grand bois, a une demi-lieue du chateau, pour y gouter avec ses freres. Le jour pris pour cette partie de plaisir, le temps etant superbe, la petite societe se mit en marche avec la gaiete de coeurs satisfaits, qui volent a de nouvelles jouissances. Rendue au lieu desire, la petite famille s'assit en rond sous un chene touffu, et fit un repas champetre qui lui parut delicieux. Pendant que ces aimables enfans se livroient sans contrainte a toute la folie de leur age, le ciel s'obscurcit et le tonnerre se fit entendre; aussitot les jeux cesserent, et tous s'empresserent de chercher un abri. A peine furent-ils hors de la foret, qu'il s'eleva une tempete effroyable: un vent impetueux deracina les arbres; l'air etoit obscurci de feuilles et de poussiere; les enfans ne voyoient pas devant eux. Poussee en sens contraire par la force du vent, la petite famille s'armoit de courage, mais il l'abandonna tout a fait quand elle entendit au loin voler en eclats les cabanes des paysans, et qu'elle vit la foudre tomber a ses pieds. Les enfans epouvantes sentirent leurs genoux se derober sous eux; la frayeur les saisit tellement, qu'il leur fut impossible d'avancer. Cependant il falloit se hater; la pluie, qui ne tomboit pas encore, menacoit de les percer jusqu'aux os. La gouvernante prit l'aine des garcons dans ses bras, et Celeste le cadet; ainsi chargees, elles s'empresserent de regagner le chateau. Mais bientot une pluie semblable a un deluge inonda les champs, et en fit une espece de lac. Celeste et sa gouvernante, ayant leurs vetemens trempes, marchoient dans l'eau, sans savoir ou porter leurs pas; car les chemins, les plaines, les prairies ressembloient a une vaste mer, dont on ne voyoit pas l'issue. Pour comble de malheur, avant d'arriver au chateau, il falloit passer un ravin, qui alors se trouvoit grossi considerablement par la pluie d'orage. Celeste et sa gouvernante sentirent la necessite de le passer avant qu'il augmentat: elles y entrerent avec courage, luttant contre les flots, et oubliant le danger qu'elles couroient pour ne s'occuper que des enfans qui, extremement effrayes, se debattoient et jetoient les hauts cris. Pres d'etre engloutie vingt fois dans ce gouffre, Celeste ne perdit point la tete; elle sortit du ravin, extenuee de fatigue et toute trempee, et regagna la maison avec ses freres; mais dans quel etat, grand Dieu!... Des qu'elle se fut reposee, elle eut une fievre brulante, avec des acces de transports. Elle s'ecrioit alors: "Ne soyez pas en peine, mon papa, maman! j'ai sauve mes petits freres ... ne soyez pas en peine, je me porte bien aussi." Mais cette chere enfant etoit attaquee d'une fluxion de poitrine qui fit craindre pour ses jours. Quelle douleur pour son pere et sa mere! cette fille cherie, qui devoit etre l'ornement et la consolation de leur vieillesse, alloit peut-etre leur etre ravie au moment ou ils connoissoient tout son merite! Malgre ces pensees dechirantes, M. et madame d'Avriller eurent le courage de moderer leur affliction, pour que Celeste ne se doutat pas du danger ou elle etoit. A force de soins, la chere enfant se retablit; elle fut plus que jamais la gouvernante de ses freres, sur lesquels elle croyoit avoir acquis des droits, depuis l'aventure de la foret. Celeste leur apprit a lire: jusqu'a l'age de huit ans, ils n'eurent point d'autre instituteur. Il falloit voir la patience de cette jeune personne, sa douceur, sa complaisance pour ses eleves; c'etoit un coup-d'oeil ravissant! Ces deux petits avoient un bon coeur; ils s'attacherent a Celeste, et leur docilite la paya amplement des peines qu'elle se donnoit pour leur education. Il auroit fallu qu'ils fussent bien ingrats pour ne pas aimer une si bonne soeur qui, toujours prete a les excuser lorsqu'ils etoient pris en faute, leur evitoit le long du jour toutes sortes de petits chagrins par sa prevoyante tendresse! Une bonne conduite trouve tot ou tard sa recompense. Celeste eut, dans ses deux freres, des amis solides, qui ne l'abandonnerent jamais. Heureuse par les auteurs de ses jours qui la cherissoient, et par l'affection sincere de ceux qui lui devoient tout, cette jeune personne n'eut rien a desirer. Outre cela, elle jouit de l'estime des honnetes gens, chose precieuse pour ceux qui ont un peu d'ame. C'est deja fini, maman? dit Mimi a madame Belmont.--Oui, ma fille. Comment trouves-tu Celeste?--Ah! c'est une demoiselle bien aimable; je voudrois qu'elle fut de mon age, j'en ferois ma petite amie.--Mais tu n'aurois pas ta belle poupee.--J'en aurois une autre.--Pas aussi belle; car je regrette beaucoup l'argent employe a ces sortes de choses.--Eh bien! maman, je m'amuserois de meme avec une poupee ordinaire, et j'aurois une amie qui m'apprendroit a etre bonne comme elle; vous seriez toujours contente de moi.--Viens m'embrasser, ma chere enfant! ta reponse me prouve que mes peines ne sont pas perdues, et que ton coeur est excellent: tu es une aimable petite fille! Lorsque Celeste tomba malade, il y avoit long-temps qu'elle ne jouoit plus a la poupee. Ses freres prenoient une grande partie de sa journee, le reste etoit pour l'etude. Si cette bonne soeur avoit un moment de loisir, elle le donnoit encore a ses chers eleves, en se melant a leurs jeux, et en se mettant a leur portee pour leur plaire davantage. Celeste donna sa poupee a la fille du receveur de la ville ou elle demeurait, comme une preuve de son amitie pour elle, et une recompense des belles actions que l'on citoit d'elle chaque jour. _Lucile, sixieme maitresse de Zozo._ Le pere de Lucile n'avoit point de fortune, mais il etoit honnete homme, et lui donna une bonne education. Il avoit remarque que sa fille avoit un caractere tres-decide, avec un coeur sensible, et il employa la douceur, les caresses et le sentiment pour obtenir d'elle ce qu'il desiroit; il eut la satisfaction de s'en voir respecte et cheri. La mere de Lucile aimoit sa fille sans doute, mais cet amour n'etoit ni raisonnable, ni eclaire; elle la grondoit severement pour des bagatelles, et lui passoit des fautes graves. Souvent cette mere capricieuse l'accabloit de caresses sans raison, sans motif, et la repoussoit quand la petite venoit pour l'embrasser. Cette bizarrerie aigrissoit l'esprit de l'enfant et chagrinoit son pere, qui se voyoit contrarie dans la marche qu'il vouloit suivre pour l'education, de sa fille. Cet homme bon, mais foible, renferma son chagrin en lui-meme. Les peines qu'il eprouvoit, jointes a des malheurs imprevus, abregerent ses jours: il mourut a la fleur de son age, et sa femme le suivit de pres. Elle laissa Lucile, agee de dix ans, avec un petit garcon de dix-huit mois. Pour tout heritage, Lucile eut quelques vieux meubles, et une petite chaumiere situee sur la lisiere d'un bois. Lucile se retira dans cet asile sauvage avec son petit frere. Les malheureux n'ont, helas! ni parens, ni amis; elle se vit absolument delaissee, et fut bientot en proie a la plus affreuse indigence. Quelques laboureurs la demanderent cependant pour garder leurs troupeaux; mais elle les refusa, resolue de tout souffrir plutot que d'abandonner son petit frere qui demandoit ses soins. Cependant il falloit avoir du pain, et donner a manger a ce pauvre petit qui ne parloit pas encore. Lucile vendit ses meubles; avec cet argent, elle acheta du lin et du coton; elle fit des bas et les vendit. L'habitude du travail lui fut d'un grand secours dans sa misere: elle filoit, cousoit et tricotoit tour a tour. Comme elle etoit aussi vigilante qu'habile, elle pourvut ainsi a ses besoins, et conserva sa liberte. La vertu commande l'estime des hommes. Une jeune fille de dix ans, vivant seule dans une pauvre cabane, se suffisant a elle-meme, et soignant son frere en bas age, comme si elle eut ete sa mere, etoit un spectacle rare et attendrissant; aussi on accouroit des cantons voisins pour la voir, et l'on s'empressoit de lui apporter de l'ouvrage. Les meres surtout se faisoient un plaisir et un devoir d'y conduire leurs enfans. En peu de temps, Lucile recueillit le fruit de ses peines; l'aisance regna dans sa petite chaumiere; elle se vit meme en etat de prendre une bonne vieille pour faire le menage et soigner son frere, tandis qu'elle alloit porter son ouvrage dans les hameaux voisins. Lucile couloit des jours heureux dans la paix et dans l'innocence; rien n'eut manque a son bonheur, si elle avoit eu son pere et sa mere. Cette jeune personne etoit d'une force et d'une taille bien au-dessus de son age, et sa beaute egaloit les qualites de son coeur. Une dame de la ville voisine, ayant entendu parler de Lucile, desira la voir; apres s'etre assuree que tout le bien qu'elle en avoit entendu dire etoit veritable, elle lui fit proposer de venir demeurer dans sa maison, promettant que si Lucile continuoit a se conduire comme auparavant, elle auroit soin de sa fortune. Effectivement, au bout de trois ans, cette dame, qui n'avoit point d'enfans, et qui etoit fort riche, adopta notre orpheline, qui par-la se vit recompensee de sa bonne conduite, et par suite en etat d'assurer une fortune honnete a son frere dont elle n'avoit pas cesse de prendre soin. Lucile avoit dispose de sa poupee, a la mort de sa mere; madame de Vertingen l'avoit achetee pour Angelina, sa petite fille. _Angelina, septieme maitresse de Zozo._ Des les premieres annees d'Angelina, on jugea qu'elle auroit beaucoup d'esprit; sa maman en etoit enchantee, elle voulut l'elever elle-meme. La tendresse excessive de madame de Vertingen nuisoit beaucoup a sa fille: en allant au-devant de ses moindres desirs, en cedant aveuglement a toutes ses volontes, elle la rendoit exigeante, capricieuse, colere, et lui preparoit des peines pour l'avenir. Un ami de M. de Vertingen essaya de donner quelques avis a cette mere trop foible: "Madame, lui dit-il un jour, permettez-moi de vous parler avec franchise; vous n'avez pas encore eleve d'enfant; je crains fort que vous ne perdiez la votre, faute de connoitre la maniere de la gouverner: vous devez l'elever pour les autres, et l'on seroit tente de croire que vous ne l'elevez que pour vous-meme." Madame de Vertingen recut fort bien ce reproche amical; elle promit d'en profiter, mais elle l'oublia bientot, et continua a gater sa fille. Angelina croissoit cependant a vue d'oeil: son teint etoit vermeil comme la rose, l'esprit petilloit dans ses yeux, sa figure pleine de grace et d'expression plaisoit a tout le monde, et son heureux caractere ne demandoit qu'une main habile pour le plier a son avantage; mais madame de Vertingen rioit de ses fautes, et lui cedoit en toute occasion. Quand un domestique differoit a satisfaire ses caprices, il etoit gronde, et l'on finissoit par le renvoyer. Aussi Angelina faisoit mille sottises par jour: la moindre contrariete la mettoit dans une colere affreuse; ses traits se decomposoient, et sa foible mere, craignant pour ses jours, se hatoit de lui accorder tout ce qu'elle vouloit. Sure ainsi de se faire obeir, Angelina se mutinoit pour rien, et devenoit insupportable. Cette petite fille si gatee montoit sur les fauteuils, se rouloit a terre, alloit partout sans guide, gatoit les meubles, dechiroit ses vetemens, brisoit tous ses joujoux, et jamais on ne la grondoit. [Illustration: _Angelina._] [Illustration: _Louisa._] Un jour elle prit un couteau pour aller dans le jardin couper une branche d'arbre, le pied lui glissa, et elle se blessa grievement a la cuisse. La gouvernante que sa mere avoit mise aupres d'elle n'etoit point ecoutee; lorsqu'elle lui faisoit des representations, l'enfant mutin repondoit: "Il faut bien que je m'amuse; maman veut que je fasse de l'exercice." Il arriva plusieurs aventures facheuses a l'indocile Angelina. Un jour elle voulut attraper un petit poisson rouge; s'etant penchee sur le bord du bassin, elle tomba dans l'eau. Le jardinier de la maison, qui heureusement se trouvoit de ce cote, la retint par ses jupons, et lui sauva la vie, mais elle fut serieusement malade. Il falloit plus d'un exemple pour corriger un enfant qui n'agissoit qu'a sa tete. Il prit fantaisie a Angelina de faire griller des escargots. Elle prit furtivement un rechaud de braise, et l'ayant allume dans un coin, en soufflant avec sa bouche un charbon tomba sur sa robe; en moins d'une minute elle eut les jambes, les cuisses, les bras, et meme le visage, entierement brules: elle fut plus d'un mois a guerir, et souffrit des douleurs inexprimables; encore fut-elle tout a fait defiguree. Angelina etoit deja grande qu'elle ne savoit encore rien: sa mere craignoit de la fatiguer. Aussi quand elle voulut lui donner des maitres, la petite, incapable d'application, s'ennuya a mourir; elle ne prit gout a rien; et au bout de plusieurs annees, apres avoir fait depenser beaucoup d'argent a son pere et a sa mere, Angelina n'eut qu'une legere teinture des arts qu'on avoit cherche a lui faire apprendre. Madame de Vertingen avoit commence d'abord par lui donner un maitre de musique et un maitre de danse. Angelina, qui etoit vive et gaie, dansoit avec plaisir; mais son maitre de musique etoit souvent renvoye, sous pretexte d'un mal de tete, d'une colique, ou de quelqu'autre indisposition. Si sa mere exigeoit qu'elle prit sa lecon, Angelina prenoit de l'humeur; elle se mettoit au piano de mauvaise grace, bailloit, faisoit des fautes sans nombre, et finissoit par lasser la patience du maitre le plus complaisant. Comme Angelina ne savoit point s'occuper, et qu'il faut passer le temps a quelque chose, elle se levoit tard, changeoit dix fois de robe dans une matinee, avoit cent caprices, mangeoit toutes sortes de friandises, tourmentoit le chat, agacoit le chien, commandoit avec hauteur a sa femme de chambre, et faisoit gronder les domestiques dont elle derangeoit le service pour ses fantaisies. Sa mere, moins fachee de la voir dure, capricieuse, ignorante, coquette et impertinente, que de reconnoitre son peu de disposition pour les arts d'agrement, lui faisoit quelquefois des reproches: "Que voulez vous devenir, ma fille? lui disoit-elle. Vous ne saurez ni musique, ni danse, ni dessin; vous passerez dans le monde pour une demoiselle sans education, et personne ne vous regardera." Elle eut mieux fait de lui dire: Comment ecrirez-vous une lettre ne sachant pas l'orthographe? Quelle sera votre conversation avec les personnes instruites n'ayant aucune connoissance de la geographie, de l'histoire, et des sciences en general? Qui voudra vous servir, si vous etes exigeante et capricieuse? Qui voudra vivre avec vous, si vous ne voulez point vous occuper des autres, et que vous rapportiez tout a vous-meme? Mais madame de Vertingen n'avoit pas l'esprit assez solide pour faire ces reflexions. Les choses etoient en cet etat, lorsqu'un evenement malheureux forca le pere et la mere d'Angelina a quitter la France. Ils abandonnerent leur bien pour sauver leur vie. Ayant rassemble a la hate leur argent et leurs bijoux, ils allerent en Allemagne attendre un temps plus heureux. Quand on est hors de son pays, on depense beaucoup. Leurs fonds furent bientot epuises; ils eprouverent les horreurs de l'indigence, d'autant plus que ni la mere ni la fille ne pouvoient s'aider du travail de leurs mains. M. de Vertingen etant mort, leur situation devint veritablement deplorable.... C'est alors que la mere d'Angelina ouvrit les yeux pour voir les torts qu'elle avoit a se reprocher sur l'education de sa fille!... Cette jeune personne, extremement laide, depuis l'accident qui lui etoit arrive par sa faute dans son enfance, ne savoit pas seulement enfiler une aiguille!... Qu'alloit-elle devenir!... Ces tristes reflexions, jointes a la misere, mirent en peu de temps cette mere infortunee au tombeau!... Angelina, sans aucune ressource, fut obligee, pour ne pas mourir de faim, de se mettre en service chez un vigneron du pays ou elle etoit. Tu vois, ma bonne amie, dit en finissant madame Belmont a sa fille, combien il est necessaire d'apprendre de bonne heure a lire, a ecrire, et a travailler. La fortune peut se perdre, mais une bonne et sage education est un tresor qui ne manque jamais. Tu n'aimes surement point Angelina; elle n'est pas aimable non plus; mais ses fautes seront pour toi une lecon utile; tu eviteras, je l'espere, de te conduire comme elle.--Je le crois bien, dit Mimi; maman ne ressemble pas a madame de Vertingen. Madame Belmont embrassa sa fille, et apres quelques autres reflexions, elle reprit son recit. Le sort de Zozo, continua cette dame, n'avoit pas ete trop heureux avec la volontaire et capricieuse Angelina. Lorsque M. et madame de Vertingen quitterent la France, la belle poupee etait dans un etat pitoyable! Elle resta entre les mains de la gouvernante d'Angelina, qui, etant entree au service d'une dame, lui en fit present. Zozo fut encore une fois reparee; on l'habilla richement, et la dame qui en etoit devenue proprietaire en fit cadeau a la fille d'une de ses amies. C'est cette petite fille qui va faire le sujet de notre entretien. _Louisa, huitieme maitresse de Zozo._ Madame de P... recut Zozo avec plaisir. Elle pria son amie de n'en point parler a Louisa, sa fille, a qui la poupee etoit destinee. Je veux, dit-elle, que ce beau present corrige ma fille d'un grand defaut, et lui serve en meme temps de recompense. Madame de P... ayant ainsi prevenu son amie, placa Zozo dans une grande corbeille de jonc, couverte de taffetas couleur de rose, noue avec de la faveur. Elle mit cette corbeille dans sa chambre a coucher, sur une commode, et la ferma aux deux bouts, avec une bande de papier cachete. Lorsque Louisa vit cette grande corbeille, elle fit mille questions, sur ce qu'elle contenoit. Tous les domestiques, qui avoient le mot, s'accordoient a lui repondre qu'ils n'en savoient rien. Louisa etoit fort embarrassee; car elle n'osoit point faire de questions a sa mere, parce qu'elle lui avoit dit plusieurs fois que rien n'etoit plus impoli. La pauvre enfant etoit a la torture, d'autant plus que la curiosite etoit son defaut dominant. Madame de P... lui dit un jour: Ecoute, Louisa, tu ouvriras toi-meme la corbeille mysterieuse dans trois mois, si, d'ici a ce temps, tu te corriges de ton excessive curiosite. Pendant trois mois, je tiendrai une note exacte des fautes qu'elle te fera commettre; a cette epoque je te montrerai mon livre, et tu seras jugee d'apres cette lecture.--Trois mois, maman, c'est bien long!---Ma fille, il n'en faut pas moins pour t'habituer a veiller sur toi-meme; d'ailleurs l'arret est prononce: dans trois mois, a pareil jour, tu ouvriras la corbeille, ou bien elle disparoitra pour toujours de devant tes yeux.--Sans que je sache ce qui est dedans?--Sans que tu saches ce qui est dedans. Tu le sauras dans la suite, mais ce sera pour te donner des regrets de ne pas avoir su vaincre ton funeste penchant. Trois mois d'epreuves etoient en effet bien longs pour une petite fille aussi curieuse que Louisa, qui n'avoit jamais su se contraindre. Dans tous les temps on l'avoit vue donner des preuves de la plus mauvaise education, en cherchant a satisfaire sa curiosite. C'etoit un tiroir qu'elle ouvroit, pour regarder ce qu'il y avoit dedans, meme chez les etrangers; un sac qu'elle vidoit, un paquet qu'elle developpoit. Un panier couvert, quel qu'il fut, lui donnoit le desir de savoir ce qu'il contenoit. Aucune boite, aucun coffre n'echappoit a ses recherches. Jusqu'alors les representations, les remontrances de madame P... n'avoient pu la corriger de ce defaut, qui devenoit chaque jour plus choquant par les inconsequences qu'il lui faisoit commettre. Quelquefois meme il avoit des suites facheuses; car Louisa ne bornoit pas sa curiosite a voir, elle vouloit aussi entendre, et decouvroit les secrets qu'on auroit voulu lui cacher. Elle ecoutoit aux portes pour savoir les affaires des personnes avec qui elle vivoit; on s'en defioit comme d'un voleur! Louisa se glissoit aussi partout pour satisfaire sa passion favorite. Quand on la prenoit sur le fait, elle en etoit quitte pour prier instamment qu'on ne le dit point a madame de P..., puis elle recommencoit au meme instant. Louisa etoit non-seulement curieuse, mais elle etoit bavarde. Cependant madame de P..., qui haissoit la medisance, lui fermoit la bouche lorsqu'elle vouloit lui conter ce qu'avoit fait un tel ou ce qu'une telle avoit dit; mais la petite se dedommageoit de cette contrainte en causant avec les domestiques, a qui elle repetoit, a sa maniere, tout ce qu'elle avoit entendu: de la provenoient des haines, des querelles interminables; la paix etoit bannie de cette maison. Quand on venoit aux eclaircissemens, on citoit toujours Louisa comme le principal auteur de tout ce tapage. Madame de P... avoit exige de ses gens qu'ils renvoyassent honteusement sa fille, chaque fois qu'ils la trouveraient soit dans l'antichambre, soit dans quelque autre piece de la maison ou elle ne devoit pas etre. De son cote, madame de P... ne negligeoit rien pour lui faire sentir le ridicule de sa conduite; elle lui defendoit expressement de causer avec les domestiques, et la punissoit quand il etoit prouve que ses rapports avoient fait de la peine a quelqu'un. Cette surveillance genoit extremement Louisa, et lui evitoit bien des sottises; mais elle ne changeoit point son caractere, parce que cette petite ne faisoit aucun effort pour se corriger. Madame de P... en fit la reflexion. C'est ce qui la porta a profiter de l'occasion qui se presentoit, pour essayer de detruire le vilain defaut de sa fille; et certes elle ne pouvoit s'y prendre trop tot: ce penchant des ames vulgaires a cause plus de maux qu'on ne pense!... Les trois mois d'epreuves commencerent donc. Louisa se promit bien de ne commettre aucune faute qui l'empechat de voir ce qu'il y avoit dans la corbeille. Malgre le desir qu'avoit cette enfant de ne rien faire qui la privat de la satisfaction qu'elle attendoit, elle s'oublioit cependant quelquefois; mais sa gouvernante qui l'aimoit, l'avertissoit toujours au moment meme, en lui rappelant _la corbeille_. Si, par exemple, Louisa touchoit a quelque chose qui ne lui appartenoit pas, et cherchoit a voir dans un ridicule, ou ailleurs, ce qu'il y avoit, sa gouvernante lui disoit: Mademoiselle, souvenez-vous de la corbeille! Et Louisa retiroit sa main aussi vite que si elle se fut brulee; de maniere que cette petite dut a sa bonne gouvernante de n'avoir pas succombe vingt fois a la tentation; car l'habitude est une seconde nature. Pendant deux mois, Louisa se comporta si bien, que madame de P... n'ecrivit rien qui meritat une censure severe. Enchantee d'avoir reussi dans son projet, et s'apercevant par cet essai que sa fille n'etoit pas incorrigible, cette dame se proposa de la recompenser de ses efforts, en abregeant le temps de son epreuve; car c'etoit une veritable penitence pour une enfant de ce caractere. Prenant donc Louisa par la main, sa mere la mena dans sa chambre: Voila deux mois de passes, ma fille, lui dit cette dame, depuis que cette corbeille que tu vois est ici. Tu as tenu nos conventions autant que ton age pouvoit te le permettre; cela me fait esperer que, par la suite, tu eviteras les fautes ou tu es tombee jusqu'ici. Je consens donc a abreger en ta faveur le temps que j'avois fixe; tu peux ouvrir la corbeille, mais a une condition, c'est que, si tu es encore curieuse, rapporteuse et medisante, comme auparavant, je reprendrai ce qui est dedans, pour le donner a une autre petite fille plus sage que toi. Louisa promit a sa maman tout ce qu'elle voulut; elle sauta a son col, et la remercia mille fois de son extreme bonte. Elle courut a la corbeille, dont elle fit bientot voler les cachets; mais que devint-elle a la vue de la belle poupee!... elle recula de surprise!... elle ne se possedoit pas de joie!...--Ah, maman! qu'elle est belle! s'ecria-t-elle dans son ravissement; comme elle est bien mise! et puis, grande! mais, c'est que nous sommes de la meme taille!... Louisa etoit la plus heureuse personne du monde!--Tu vois, ma bonne amie, lui dit sa maman, que tu es recompensee de tes efforts au dela de tes esperances: travaille toujours a te perfectionner, et je te promets des surprises plus flatteuses encore: une mere est si heureuse quand sa fille se porte au bien! Louisa devint extremement raisonnable; elle donna toutes sortes de satisfaction a sa maman. Le temps etant venu de lui donner des maitres, cette jeune personne renonca d'elle-meme a sa poupee pour s'appliquer davantage. Madame de P... que je voyois alors me donna Zozo pour toi, ma fille; mais tu etois si petite, que tu ne pouvois jouer encore avec des poupees. Je la serrai donc jusqu'a ce que tu eusses assez de raison pour t'en amuser sans la gater. Tu sais a present, ma chere amie, l'histoire de Zozo. Quelque jour on joindra la tienne a celle des jeunes demoiselles a qui ta poupee a appartenu; vois dans quelle classe tu desires etre rangee; si c'est parmi ses bonnes ou ses mauvaises maitresses! Ta conduite a venir en decidera: elle fera aussi le bonheur ou le malheur de ta mere. FIN. End of the Project Gutenberg EBook of Conversations d'une petite fille avec sa poupee, by Mme de Renneville *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONVERSATIONS D'UNE PETITE FILLE *** This file should be named 7cptf10.txt or 7cptf10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 7cptf11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 7cptf10a.txt Produced by Carlo Traverso, Christine De Ryck and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. We are now trying to release all our eBooks one year in advance of the official release dates, leaving time for better editing. Please be encouraged to tell us about any error or corrections, even years after the official publication date. Please note neither this listing nor its contents are final til midnight of the last day of the month of any such announcement. The official release date of all Project Gutenberg eBooks is at Midnight, Central Time, of the last day of the stated month. A preliminary version may often be posted for suggestion, comment and editing by those who wish to do so. Most people start at our Web sites at: http://gutenberg.net or http://promo.net/pg These Web sites include award-winning information about Project Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!). Those of you who want to download any eBook before announcement can get to them as follows, and just download by date. This is also a good way to get them instantly upon announcement, as the indexes our cataloguers produce obviously take a while after an announcement goes out in the Project Gutenberg Newsletter. http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext03 or ftp://ftp.ibiblio.org/pub/docs/books/gutenberg/etext03 Or /etext02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90 Just search by the first five letters of the filename you want, as it appears in our Newsletters. Information about Project Gutenberg (one page) We produce about two million dollars for each hour we work. The time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our projected audience is one hundred million readers. If the value per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2 million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+ We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002 If they reach just 1-2% of the world's population then the total will reach over half a trillion eBooks given away by year's end. The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks! This is ten thousand titles each to one hundred million readers, which is only about 4% of the present number of computer users. Here is the briefest record of our progress (* means estimated): eBooks Year Month 1 1971 July 10 1991 January 100 1994 January 1000 1997 August 1500 1998 October 2000 1999 December 2500 2000 December 3000 2001 November 4000 2001 October/November 6000 2002 December* 9000 2003 November* 10000 2004 January* The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium. We need your donations more than ever! As of February, 2002, contributions are being solicited from people and organizations in: Alabama, Alaska, Arkansas, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Florida, Georgia, Hawaii, Illinois, Indiana, Iowa, Kansas, Kentucky, Louisiana, Maine, Massachusetts, Michigan, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New Hampshire, New Jersey, New Mexico, New York, North Carolina, Ohio, Oklahoma, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, South Carolina, South Dakota, Tennessee, Texas, Utah, Vermont, Virginia, Washington, West Virginia, Wisconsin, and Wyoming. We have filed in all 50 states now, but these are the only ones that have responded. As the requirements for other states are met, additions to this list will be made and fund raising will begin in the additional states. Please feel free to ask to check the status of your state. In answer to various questions we have received on this: We are constantly working on finishing the paperwork to legally request donations in all 50 states. If your state is not listed and you would like to know if we have added it since the list you have, just ask. While we cannot solicit donations from people in states where we are not yet registered, we know of no prohibition against accepting donations from donors in these states who approach us with an offer to donate. International donations are accepted, but we don't know ANYTHING about how to make them tax-deductible, or even if they CAN be made deductible, and don't have the staff to handle it even if there are ways. Donations by check or money order may be sent to: Project Gutenberg Literary Archive Foundation PMB 113 1739 University Ave. Oxford, MS 38655-4109 Contact us if you want to arrange for a wire transfer or payment method other than by check or money order. 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They tell us you might sue us if there is something wrong with your copy of this eBook, even if you got it for free from someone other than us, and even if what's wrong is not our fault. So, among other things, this "Small Print!" statement disclaims most of our liability to you. It also tells you how you may distribute copies of this eBook if you want to. *BEFORE!* YOU USE OR READ THIS EBOOK By using or reading any part of this PROJECT GUTENBERG-tm eBook, you indicate that you understand, agree to and accept this "Small Print!" statement. If you do not, you can receive a refund of the money (if any) you paid for this eBook by sending a request within 30 days of receiving it to the person you got it from. If you received this eBook on a physical medium (such as a disk), you must return it with your request. ABOUT PROJECT GUTENBERG-TM EBOOKS This PROJECT GUTENBERG-tm eBook, like most PROJECT GUTENBERG-tm eBooks, is a "public domain" work distributed by Professor Michael S. 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